Rencontre avec la journaliste et conservatrice de « La traversée des apparences. Quand la mode s’invite au musée national d’art moderne » jusqu’au 22 avril au Centre Georges Pompidou, une exposition mettant en regard des pièces de mode emblématiques avec les oeuvres majeurs de sa collection permanente. À voir absolument.
Il y a un an, le Centre Georges Pompidou présentait (aux côtés de quatre autres institutions culturelles parisiennes) « Yves Saint Laurent aux musées », mise en regard de la haute couture du génie français et des collections permanentes. Aujourd’hui, et jusqu’au 22 avril, il réitère avec « La traversée des apparences. Quand la mode s’invite au musée national d’art moderne ». Sous la houlette de la journaliste Laurence Benaïm, le New Look de Christian Dior dialogue avec le White Over Black III d’Ellsworth Kelly, le corset aux seins coniques Jean Paul Gaultier correspond avec La Prière de la religieuse de Wilhelm Freddie, la robe de Thebe Magugu imprimée d’un dessin d’une mère et son enfant fait écho à La Toilette − Femme au miroir d’Ernst Ludwig Kirchner.
LE FIGARO. – Racontez-nous la genèse de cette exposition.
Laurence BENAÏM. – Le président du Centre Pompidou, Laurent Le Bon, avec lequel je parle souvent d’art et de mode, m’a proposé cette carte blanche. Je ne voulais ni donner une leçon de mode ni être trop pédagogique. Et ne surtout pas montrer la petite histoire de la mode dans le grand musée d’art. C’est pourquoi je suis partie d’une idée intimiste, sur le corps et sa représentation, en cherchant à créer des correspondances entre des silhouettes de créateurs et des œuvres de la collection que j’ai parfois redécouvertes en travaillant sur ce projet.
Cette sélection d’œuvres d’art comme celle des pièces de mode vous est en effet très personnelle.
Je crois beaucoup en la force des émotions pour transmettre un message. Je revendique donc ce parti pris subjectif car il est aussi la meilleure façon de s’adresser aux autres. Et puis, je préfère parler à quelques-uns qui ressentiront les choses plutôt qu’au plus grand nombre… qui n’est finalement plus personne.
Parlez-nous de quelques-unes de ces associations.
Il y a la rencontre, attendue, certes, de la robe Lalanne d’Yves Saint Laurent (1969) avec Le Luxe I de Matisse (1907). Je voulais que ça soit comme un copier-coller de cet amour du corps de Matisse à Saint Laurent, qu’il considérait comme l’un de ses maîtres. Le duo formé par la silhouette spectaculaire Comme des Garçons (2022) et Udnie, de Picabia (1913) : la danseuse virevoltant dans le bateau qui conduisait le peintre à New York m’évoquait cet énorme jupon de la créatrice japonaise. La robe Visage d’Alber Elbaz pour Lanvin (2013), destinée selon lui, aux « femmes qui aiment reprendre du dessert », côtoie le Tableau métallique de Martial Raysse, ce portrait à géométrie convexe de 1964 qui critiquait la société de consommation à travers un idéal de beauté parfaite. Également, ce modèle noir de Coco Chanel de 1925, d’une simplicité pure, paraît comme un souffle nocturne à côté d’un portrait de Christian Schad, de la même époque. Et, enfin, la veste Bar de Dior qui termine le parcours en tandem avec White Over Black III d’Ellsworth Kelly. Si tout oppose ce tailleur de 1947 qui marque le retour de la figuration et ce quasi-monochrome blanc qui est l’expression même de l’abstraction, ce qui les réunit, c’est le sens de la ligne et l’idée que le style se façonne à force d’obsessions.
Exposer de la mode au sein de collections permanentes est-il une manière de séduire de nouveaux visiteurs ?
Sans doute. Les expositions de mode rencontrent un succès indéniable. Si certains musées sont presque devenus des lieux d’exposition pour les marques, ma chance est d’avoir travaillé sans contrainte dans un établissement public. Ici, j’ai eu la liberté de pouvoir présenter différents créateurs, entre couturiers emblématiques et jeunes talents contemporains. Mon choix s’est surtout porté sur des personnalités dont l’œuvre est vivante, même s’ils ne sont plus là, dont les robes tracent un chemin qui n’est pas réductible au passé, au futur ou au présent, mais dont le cœur continue de battre à travers leur création.
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