PORTRAIT – Avec sa musique décalée, Yamê apparaît aux yeux de tous comme un ovni. Révélé en juin avec son morceau Bécane et salué par le producteur Timbaland, sera-t-il la révélation masculine de l’année? Verdict ce soir.
«C’est mon style que je vais présenter». Yamê est sélectionné dans la catégorie Révélation masculine aux Victoires de la musique, qui se tiennent vendredi 9 février. Le chanteur franco-camerounais, qui a assuré seul au piano voix la première partie de Stromae, le 9 mars 2023 à Marseille, est devenu en quelques mois seulement l’un des artistes les plus écoutés des plateformes de streaming.
Yamê, de son vrai nom Emmanuel Sow, s’est classé numéro 1 dans du Top Viral Monde Spotify avec son single d’or Bécane, révélé en juin dernier sur la chaîne Colors. À la suite de cette collaboration, l’artiste de 30 ans cumule désormais plus de 6,5 millions d’auditeurs mensuels sur la plateforme suédoise. Sur les réseaux sociaux, ses titres sont partagés en boucle : Bécane a été visionné plus de 200 millions de fois sur TikTok.
Un succès fulgurant que le Franco-camerounais n’aurait jamais rencontré s’il n’avait pas bravé les interdits du confinement lors de la pandémie du Covid. En effet, Yamê casse la routine de son job à distance dans la data en jouant et composant. «Des potes venaient passer une semaine à la maison, avoue-t-il à L’Humanité . J’ai eu plein de temps pour faire autre chose, surtout de la musique. Sans le confinement, je n’aurais pas eu le même chemin, c’est certain.» Et puis vient le déclic. «Quand en juillet 2021, les entreprises nous ont demandé de retourner au bureau, je n’ai pas tenu une semaine», rapporte-t-il au Monde . Vient alors le déclic. Le jeune homme lance sa carrière musicale.
Sans le confinement, je n’aurais pas eu le même chemin, c’est certain.
Yamê
Yamê publie sur les réseaux sociaux ses premiers titres sous la forme de courtes vidéos. Le succès prend rapidement. «C’est ce qui m’a propulsé», avance-t-il à Ouest-France . Lorsqu’il se filme en train de chanter, ses abonnés remarquent son étrange dentition. À cinq ans, il s’est cassé les incisives lors d’une chute dans sa maison familiale à Cergy-Pontoise. «J’ai arrêté de mettre ma main devant ma bouche. C’est un réflexe que j’avais depuis petit. Et en faisant des vidéos TikTok, je me suis dit “vas-y assume le truc”», raconte-t-il à L’Humanité. Son sourire édenté est une part assumée de son identité.
Un style musical inclassable
Dans ses chansons, Emmanuel se laisse porter par les accords de son piano et de son logiciel, qu’il manie tel un orfèvre. Il insuffle dans ses premières productions des mélodies caméléons, qui réunissent jazz, soul mais également des notes de drill qu’il écoute à longueur de journée. Son premier EP axé purement sur le rap et le hip-hop sort en 2021.
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Le succès s’exporte à l’international. Le très réputé producteur américain Timbaland, mentor de Jay-Z, Justin Timberlake ou encore Nelly Furtado, partage les titres a cappella de Yamê sur son compte Instagram. L’artiste explore alors la chanson, les sous-genres de musique urbaine, les chœurs ancestraux et les mélodies étranges dans Elowi, son album sorti en octobre 2023. Dans ce disque, qui signifie «ce qui n’est pas visible» en mbo’, la langue parlée dans plusieurs régions du Cameroun, il n’hésite pas à pousser, sans autotune, sa puissante voix dans des envolées aigues.
Avec sa musique décalée, Yamê apparaît aux yeux de tous comme un ovni. Personne ne parvient à classer les chansons de celui qui ne s’enferme dans aucune case. Il s’inspire autant du bassiste Richard Bona que du chanteur R’n’B Daniel Caesar. Dans son morceau Business, il refuse de qualifier son style de «zik urbaine». «Je suis un artiste hybride en recherche de performance artistique, afin de proposer quelque chose de nouveau», explique-t-il à Ouest France.
Les morceaux de Yamê font voyager ses auditeurs. Ses textes regorgent d’argot camerounais et d’expressions parisiennes. Dans ses paroles, il fait une ode à la liberté, représentée par sa «bécane». Il communique en métaphores. Sa musique bouillonne de genres et de références culturelles. Des références à Paris, sa ville natale où il a grandi entouré de guitares et de claviers, mais également du Cameroun, son pays d’origine. Enfant, le petit Emmanuel étanche sa soif de connaissances et se nourrit des infusions de son père, Ngoup’Emanty, un célèbre musicien camerounais qui mélange musique traditionnelle ouest-africaine et soul makossa.
Au Cameroun, j’étais un petit écolier expatrié, mais en même temps, j’ai compris d’où je venais.
Yamê
Yamê déménage avec toute sa famille au Cameroun à l’âge de cinq ans. À Douala, il apprendra à jouer du piano et à maîtriser les instruments qu’il bricole avec son père. Cette part d’Afrique lui colle à la peau. «C’est une période qui m’a forgé. J’étais un petit écolier expatrié, mais en même temps, j’ai compris d’où je venais», rapporte-t-il. À l’âge de 10 ans, il revient à Paris avec son père et sa sœur dans un petit arrondissement du XIIIe arrondissement à la suite du décès brutal de sa mère. C’est elle qui lui aura transmis le goût pour la chanson française, de Sardou à Gainsbourg jusqu’à Fernandel.
Le jeune garçon poursuit sa jeunesse sans faire de vague. Il se réfugie en parallèle de ses études dans le traitement de données dans les jeux vidéo ainsi que dans la mythologique grecque et nordique. Ces univers inspireront notamment son morceau Call of Valhalla, le cimetière des guerriers Vikings. Dans son studio étudiant, où les instruments s’empilent, il s’amuse à rejouer les mélodies de tout ce qu’il entend dans ses écouteurs ; de la rage du groupe de métal System of a Down aux instru funk de Georges Clinton. Et pourtant, jamais il n’envisage de faire de la musique son métier.
Révélation des «jam-sessions»
Tout bascule lorsqu’un jour, au gré de ses déambulations dans la capitale, le jeune homme découvre la fièvre des «jam-sessions». Au Baiser Salé, au New Morning ou encore à La Petite Halle de la Villette, Yamê mène une double vie en parallèle de son travail. Il s’entoure jusqu’au petit matin de ces musiciens qui se réunissent pour jouer des standards jazz et des improvisations. «Je n’avais jamais connu pareille exaltation. C’était magique. On aurait dit que les gens parlaient le même langage les yeux fermés», précise-t-il.
C’est de là que lui vient alors l’envie, lui aussi, de jouer en public. «Au début, je regardais juste et j’écoutais. Pendant un an, je n’ai pas osé. Puis au Carré Saint Michel, je suis allée au piano, les mains tremblantes», rapporte-t-il au Monde. Le jeune musicien prend du galon, noue des liens avec les autres artistes. Le petit Geek sort enfin de sa coquille. Le producteur Flame lui conseille de mettre en avant sa voix aiguë et perchée. Il affine son style, jusqu’à donner des concerts à L’Olympia début février.
Le verbe Yamê
Emmanuel Sow révèle enfin Yamê, cet artiste inqualifiable qui sommeille en lui depuis de longues années. Ce mot, «Yamê» signifie «le verbe» dans la langue camerounaise Mbo’. Pour le chanteur, il est synonyme de repère et réfère à l’entité spirituelle que chacun porte en soi. Il est une balise sacrée de sa jeunesse, que son père n’a jamais cessé d’utiliser comme mantra au cours de leurs nombreuses conversations. La voix d’Emmanuel, qui agit comme liant entre Paris, l’Afrique et l’histoire de ses ancêtres, est celle qui porte le verbe «Yamê». Auprès du Monde il dira : «Je suis fait de milles et une chose et je fais de la musique pour les rassembler». Contacté par Le Figaro, Yamê n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. Trop occupé. Le chanteur est actuellement en tournée dans toute la France, en Belgique et en Suisse jusqu’en 2025 et donnera des concerts de Blois à Besançon en passant par les Francofolies et les Vieilles Charrues.
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