L’histoire vraie d’un sauveur d’enfants juifs à Prague peu avant le début de la guerre, une ch’ti de Stars Wars , un styliste confronté à la mort de son père… La sélection cinéma du Figaro.
Universal Theory – À voir
Drame de Timm Kröger, 1H58
Dans cette œuvre surprenante en noir et blanc, qui tient tout autant du mélodrame hollywoodien que du film noir, du thriller métaphysique que de l’hommage au septième art tant les références sont nombreuses, d’Alfred Hitchcock à Fritz Lang, Timm Kröger nous plonge dans une troublante histoire d’amour hantée par les mystères de la physique quantique.
« Dans quel monde vivons-nous ? » C’est bien là toute la question en préambule de ce film, celle qui obsède depuis des années Johannes Leinert, le personnage principal, un auteur moqué sur les plateaux télé pour sa théorie sur les multimondes. Retour douze ans plus tôt, en 1962, là où tout a commencé. Leinert, alors jeune étudiant passionné par le multivers, accompagne son austère directeur de thèse à un colloque de scientifiques dans un hôtel perché au sommet des Alpes suisses. Dans cette assemblée très sérieuse de messieurs en couvre-chefs et pardessus noirs réunis en pleine guerre froide, tel un nid d’espions, la menace sourd. Johannes tombe sous le charme de Karin (magnifique Olivia Ross), la pianiste de l’hôtel, qui semble tout connaître de lui mais lui échappe sans cesse, en pleine nuit dans une chapelle déserte ou au bord d’une piste de ski, mystérieusement accompagnée par des hommes observant les nuages avec des jumelles. Un chercheur est tué mais réapparaît ailleurs, d’autres disparitions ont lieu, les lumières des lampes vacillent sans cesse, la réalité semble de plus en plus fluctuante… On se laisse très volontiers embarquer, hypnotiser, même, par cette sombre histoire de machination et de complots mystérieux, à la limite du fantastique. V.B.
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Le Pion du général – On peut voir
Drame de Makbul Mubarak, 1h55
Les coups de klaxons résonnent dans la cour. Le conducteur n’est pas patient, habitué qu’il est à ce que toutes les portes s’ouvrent immédiatement. Le jeune Kib se dépêche d’aller accueillir le général Purna, de retour dans sa maison de province pour candidater à une élection locale. L’homme à tout faire devient le silencieux compagnon de cet ex-militaire. Il voit tout : la servilité des locaux qui craignent son patron, le poids de la hiérarchie sociale, la duplicité de l’impassible général. La découverte d’une affiche de campagne abîmée par des vandales accélère ensuite cette intrigue resserrée, sans doute un peu trop d’ailleurs, sur le face-à-face taiseux entre maître et esclave. Radiographie d’une société rurale indonésienne encore marquée par le pouvoir militaire (un ancien gradé vient d’y être élu président), ce premier film prudent mais de belle facture illustre à l’aide de longs plans significatifs l’emprise de l’autorité. À la fin, des coups de feu résonneront dans la forêt. Mais tirés par qui ? B.P.
Une vie – On peut voir
Biopic de James Hawes, 1h49
On ne sait pas ce que Nicholas Winton a pensé ce jour de 1938, mais il a agi. Ça n’a pas traîné : ce courtier londonien est parti pour Prague dans le but de sauver le maximum d’enfants juifs avant la catastrophe. Au total, 669 lui devront la vie. L’homme s’en veut. Pourquoi pas davantage ? Il a fait ce qu’il a pu, sans se rendre compte que son travail était déjà énorme. Cette histoire authentique est racontée avec sérieux par un solide artisan issu de la télévision, James Hawes. Une vie est scindé en deux parties. L’une nous montre le héros dans les années 1980 houspillé par sa femme qui ne supporte plus son désordre. Dans son bureau, il y a des cartons partout. Dans un tiroir, le retraité tombe sur une serviette de cuir usée. Elle contient un album jauni dans lequel se récapitule tout l’épisode en question. Liste de noms, photos, documents officiels. Le passé lui saute à la gorge. Que sont-ils devenus, tous ? Le Schindler anglais s’adresse en vain à la presse locale. Il faudra l’intervention d’Elisabeth Maxwell, l’épouse du magnat d’origine tchèque (Marthe Keller, rigide en châtelaine vêtue de Chanel) pour qu’il soit invité dans une célèbre émission de télévision où le public se compose des survivants. La séquence est devenue virale sur internet. La mise en scène, hélas, la rate un peu, ce qui est dommage, mais donne une idée de l’émotion qui a dû submerger ce Juste en direct. L’autre section s’attache aux faits tragiques de l’avant-guerre, avec son cortège de sirènes hurlantes et de croix gammées. La bureaucratie ne facilite pas la tâche de ce banquier idéaliste. Les frontières risquent de fermer. Il s’agit d’obtenir des dons, de trouver des familles d’accueil en Grande-Bretagne, d’affréter des trains, de déjouer les contrôles des nazis. Sur les neuf convois, un seul restera à quai. D’où les remords. Le film, sans surprise, ne révolutionnera pas le septième art : il a pour qualité de braquer le projecteur sur un événement hors du commun. Ça n’est pas si mal. É. N.
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L’Empire – On peut voir
Comédie de Bruno Dumont, 1h50
L’Empire n’est ni une parodie ni un pastiche. Dumont n’est pas Hazanavicius. Il transpose une guerre intergalactique dans un village du nord de la France. Il mêle acteurs professionnels et amateurs, Chevaliers du Margat et pêcheurs, zones pavillonnaires et vaisseaux spatiaux, décapitation au sabre laser et gendarmerie nationale. Dumont aime la métaphysique et les majuscules. Le Bien, le Mal, l’Apocalypse… Dans la bouche de ses personnages, ancrés dans des paysages ordinaires, le décalage produit un effet comique imparable. Jane (Anamaria Vartolomei), Princesse en maillot de bain, entraîne Rudy au maniement du sabre laser dans le jardin de son pavillon. Fabrice Luchini joue un guide pour touristes expert en coquillages. Belzébuth, qui ne ressemble à rien, ou plutôt à une boule noire et visqueuse en lévitation, vampirise le corps de ce misérable humain pour visiter le Prince sur Terre. La Reine, elle, choisit Camille Cottin pour prendre l’apparence de madame le maire du village. C’est jour de marché. Ses administrés ont des doléances plus proches de la fin du mois que de la fin du monde. « Les humains sont attachants et si cocasses, dit-elle, attendrie. Nous allons envahir la Terre pour exterminer le Mal en chacun d’eux. » Mais les humains connaissent les plaisirs de la chair. La Princesse, carnation sensuelle, ne se prive pas d’y goûter avec l’ennemi en la personne de Joni. Dumont ajoute l’Amour à sa panoplie de concepts. Les blagues les plus courtes sont les moins longues. Bruno Dumont n’a pas su faire moins long que cent dix minutes, durée injustifiée qui finit par amoindrir les forces vitales de ce film mutant. É. S.
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Sleep – On peut voir
Thriller de Jason Yu, 1h35
Hyun-su (Lee Sun-kyun) et Soo-jin (Jeong Yu-mi ) forment un couple uni et heureux. Ils attendent leur premier enfant. Lui est acteur dans des séries télé mais ne fait pas grand-chose de ses journées. Il est plus actif la nuit, quand il commence à se lever lors de crises de somnambulisme. Il se gratte la joue jusqu’au sang ou mange de la viande crue. Le médecin diagnostique un trouble du sommeil lié au stress. Il recommande de ne pas boire d’alcool, de se coucher tôt. Hyun-su dort dans un duvet sarcophage, entrave qui ne suffit pas à apaiser les craintes de son épouse. Soo-jin est encore plus inquiète à la naissance de leur bébé. Ses nuits à elle deviennent aussi agitées. Elle se met à faire des cauchemars. La vision de son bébé plongé dans une marmite d’eau bouillante la réveille en sursaut. Elle sombre peu à peu dans la folie.
Sleep fait entrer habilement la paranoïa dans le lit d’un couple. Jason Yu met en scène la fin de la passion amoureuse et le début de la parentalité avec un mélange d’humour noir et d’angoisse. Mais Sleep lorgne plus du côté de Rosemary’s Baby que d’Anatomie d’une chute . Yu orchestre un crescendo efficace. Avant de conclure par un dernier acte décevant, où il est question de possession et d’exorcisme. É.S.
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Le Successeur – À éviter
Drame de Xavier Legrand, 1h52
Comme il y a peu de révélations dans le cinéma français, après Jusqu’à la garde, on surveillait Xavier Legrand comme le lait sur le feu. Hélas, la casserole déborde avec Le Successeur. Cela démarre pourtant en fanfare, avec un défilé de mode où les mannequins suivent un parcours en spirale filmé depuis le plafond. La musique est moderne, les journalistes applaudissent. Le styliste salue ses admirateurs en courant. Tout en noir, crâne rasé, barbe de trois jours, anneaux à l’oreille, Ellias (Marc-André Grondin) possède la panoplie au complet. Il a repris les rênes d’une prestigieuse maison. Il est doué et capricieux. C’est donc un artiste. La preuve : il a droit à la couverture d’un magazine spécialisé. Le petit génie ne respecte pas les règles du marketing puisqu’il renvoie l’égérie de la marque. Quel tempérament ! De gros soucis doivent l’accabler, car il a un malaise cardiaque. On ignore si les deux événements sont liés. La mort de son père -infarctus, évidemment, ce qui inquiète le rejeton – ne risque pas d’arranger les choses. Ils ne se sont pas vus depuis vingt ans. Le fils unique part pour le Québec. Un autre héritage l’attend là-bas. Ça n’est pas celui auquel il pensait. Dès qu’on débarque en Amérique du Nord, le film bascule, comme si le réalisateur avait été remplacé en douce par un tâcheron abreuvé de mauvaises séries B, généralement diffusées au milieu de la nuit sur des chaînes câblées. É. N.
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