Un acteur en thalasso croise un amour de jeunesse, Christine Angot rencontre ses proches pour évoquer l’inceste dont elle a été victime, Nicolas Philibert plante sa caméra à l’hôpital Esquirol, ancien asile de Charenton… La sélection cinéma du Figaro.
Hors-saison – À voir
Comédie de Stéphane Brizé, 1h 46
Guillaume Canet– qui joue un acteur dans le film – arrive dans une station balnéaire de la côte ouest pour faire une thalasso. Dès l’entrée, la réceptionniste lui demande un selfie. Il était venu se ressourcer au grand air iodé. Il est sur le point de plonger en dépression. L’éclaircie vient d’Alice, une femme avec qui il a vécu quinze ans plus tôt.
La vision d’Alba Rohrwacher, blondeur florentine, accent italien renversant, oscillant entre réserve et fou rire, est une symphonie à elle seule. L’acteur ressuscite. Ils ne doivent pas se revoir, ils se reverront. Chabadabada, chabadabada… Étonnant Stéphane Brizé qui, après les luttes âpres des travailleurs en entreprise, nous fait un coup à la Claude Lelouch. Un homme, une femme et l’inlassable ressac des vagues qui n’en auront jamais rien à faire des états d’âme de deux petits promeneurs à la Sempé. Hors-saison scelle les retrouvailles d’anciens amants. La vie a passé, les enfants sont nés, les rides se sont creusées, les souvenirs se sont adoucis et les regrets ? À partir de cet enfilage de perles, Brizé tricote un mélodrame d’une délicatesse de porcelaine. F. D.
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Averroès et Rosa Parks – À voir
Documentaire de Nicolas Philibert, 2 h 23
L’Adamant est une péniche amarrée sur la Seine au cœur de Paris. Ce bateau immobile relève du pôle psychiatrie Paris Centre. Nicolas Philibert y a posé sa caméra pour signer le très beau Sur l’Adamant, Ours d’or à la Berlinale en 2023. Nicolas Philibert retourne en psychiatrie. Toujours au pôle Paris Centre. Cette fois, dans les deux unités Averroès et Rosa Parks de l’hôpital Esquirol, autrefois connu sous le nom d’« asile de Charenton », à la lisière du bois de Vincennes. On découvre le bâtiment par un plan aérien filmé par un drone. « C’est chez nous, là ?, demande un patient penché sur la tablette connectée du droniste. Ça fait un peu pénitencier. »
Dans ces espaces clos, Nicolas Philibert se fait oublier pour enregistrer les consultations. Les discours hors norme, la parole « inordinaire », les psychiatres les écoutent avec une patience infinie, une bienveillance réelle. Cela ne fait pas d’eux des héros. Nicolas Philibert n’en a pas fini avec le pôle psychiatrie de Paris Centre. Dans La Machine à écrire et autres tracas, dernier volet de sa trilogie, en salle le 17 avril, le cinéaste filme L’Orchestre, groupe de soignants de l’Adamant qui se rend chez des patients pour accomplir de menus travaux. La psychiatrie en France semble affaire de bricolage. É. S.
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La Jeune Fille et les Paysans – À voir
Drame de DK et Hugh Welchman , 1h54
Nous avions découvert DK et Hugh Welchman avec La Passion Van Gogh (2017), leur premier long-métrage. Film polonais ayant connu le plus de succès dans le monde, nommé aux Oscars face à Disney en 2018, cette enquête sur les derniers mois du peintre des Tournesols bluffait par sa magie et sa beauté. Ce n’était pas un film, mais pas tout à fait un dessin animé au sens commun. Le couple de réalisateurs britannico-polonais revient avec le même procédé : tourner un scénario en prise de vue réelle avec des comédiens puis peindre chaque image en postproduction en s’inspirant des toiles de grands maîtres. Mais en adaptant La Jeune Fille et les Paysans, roman méconnu en France de Wladyslaw Reymont, il nous emmène cette fois dans un hameau à la fin du XIXe siècle. Il raconte la rudesse de la vie paysanne au fil des saisons, avec ses coutumes locales et ses superstitions, la communion avec la nature, la violence du patriarcat et des éléments.
Portée par une musique et des envoûtants chants traditionnels, cette histoire est universelle. Il s’agit de celle d’un monde paysan bientôt révolu, coincé entre des traditions moyenâgeuses et les premiers signes d’un nouveau siècle annonciateur de droits du travail et d’émancipation féminine incarnée par le refus de Jagna à se plier aux règles. Malgré la lenteur du récit et son austérité exigeante, on se laisse embarquer, hypnotiser même, par cette fresque naturaliste au rythme des saisons. V. B.
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Vampire humaniste cherche suicidaire consentant – On peut voir
Comédie d’Ariane Louis-Seize, 1h30
Dans Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, la Québécoise Ariane Louis-Seize invente une famille de vampires presque banale. En tout cas parfaitement intégrée à la communauté humaine. Elle se distingue néanmoins par sa soif de sang frais. Mais Sasha (Sarah Montpetit, parfaite en gothique taciturne), leur fille unique, ne mange pas de ce pain-là. Elle se refuse à tuer pour vivre. Compréhensifs, ses géniteurs lui fournissaient des poches de sang qu’elle sifflait à la paille comme un sundae. Mais Sasha a grandi. L’adolescente sent ses incisives pousser et ses parents s’impatienter. Ils décident de lui couper les vivres. Fini les poches de sang sans se salir les dents. Sasha est envoyée chez sa grande cousine, croqueuse d’hommes sans scrupule. Une nuit, elle rencontre Paul, adolescent solitaire aux tendances suicidaires. Le garçon est prêt à se sacrifier pour la jeune fille. Pas si simple, comme les deux amis vont le découvrir le temps d’une nuit qui doit permettre à Paul de réaliser ses dernières volontés.
Ariane Louis-Seize n’a pas peur du rouge sang ni de l’humour noir. Mais Vampire humaniste… n’a rien d’un film gore. Il lorgne plutôt vers les comédies adolescentes américaines du tournant des années 2000. É. S.
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Une famille – On peut voir
Documentaire de Christine Angot, 1h22
Christine Angot revient sur son inceste. Le moyen de faire autrement ? Pour cela, elle a ici besoin de la caméra. La parole se filme. Caroline Champetier, directrice de la photo chevronnée, la suit à la trace. Il faut se souvenir.
Elle avait 13 ans ; elle était en cinquième. Angot n’oublie pas. On la voit dans son bureau aujourd’hui. « J’ai un livre qui sort en ce moment », glisse-t-elle en voix off. Elle retourne à Strasbourg, ville où tout s’est déroulé. La voici devant la maison de la deuxième femme de son père. Elle tourne, elle hésite, derrière ses lunettes de soleil. Elle y va : le doigt appuie sur la sonnette. La porte s’ouvre sur une vieille dame en pantalon jaune avec un drôle d’accent. La scène est violente, le ton âpre. « J’ai du mal à tenir sur mes jambes », avoue la visiteuse. Il y a de quoi. L’échange donne le vertige. Angot réclame une chose, une seule, la vérité. « Je ne veux pas savoir », « Je ne peux pas juger », plaide la dame. « Je ne veux pas de ta peine », répond l’écrivain. Elle effectue la tournée des proches. Sa mère l’écoute, impuissante, dépassée, qui relit son journal de l’époque. Avec son ex-mari, qui n’avait pas réagi quand il l’aurait fallu, Angot s’aperçoit qu’ils se sont trompés sur leur amour. Il y a aussi son compagnon, Charlie, son avocat très volubile. Par instants, la garde se baisse. « J’en ai marre de parler de ça. » La séquence avec sa fille touche au cœur. « Je suis désolée qu’il te soit arrivé ça », dit Léonore face à la Méditerranée. Christine Angot n’en sort pas. Elle n’en sortira jamais. C’est sa passion. Les livres sont ce qu’ils sont. Mais il y a ce film, Une famille. Il existe, entre cri et silence. Il ne ressemble à rien. On dirait, non répertoriée sur les cartes, une île battue par les vagues. É. N.
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