CRITIQUE – C’est une plongée directe dans la palette que proposent les artistes Ulla von Brandenburg et Farah Atassi. Dynamique et étonnant.
Lorsque, en 1877, Claude Monet emménage à Paris dans le quartier de la Nouvelle Athènes, il demande l’autorisation de travailler dans la gare Saint-Lazare, qui en est la limite. Le lieu est idéal pour cette peinture impressionniste qui vient d’éclore et dont on fête cette année les 150 ans (Impression, soleil levant, date de 1874). Luminosité, mobilité du sujet, nuages de vapeur et motif radicalement moderne donnent naissance à La Gare Saint-Lazare, 1877, une peinture où la couleur frôle l’abstraction pour mieux exprimer le temps qui change de vitesse.
Aujourd’hui, collé à la gare Saint-Lazare, le Grand Central, conçu par l’architecte Jacques Ferrier, bâtiment tout en verre et qui abrite depuis 2021 la Fondation Ricard, apporte une grosse bouffée d’air frais à un quartier intensément urbain. La lumière le traverse, des 2 400 lamelles de verre teinté du bleu-vert à l’orange clair, dans lesquelles le ciel se reflète, au patio piéton, des jardins ébouriffés qui le coiffent au cour Paul-Ricard où les (jeunes) amateurs d’art viennent en famille et en poussette visiter cette fondation contemporaine dans l’âme. Le théâtre de la couleur les y attend.
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Sous les vastes rideaux tendus par l’artiste allemande Ulla von Brandenburg, l’œil est sollicité par le jeu des primaires et des complémentaires. Le rouge mat coquelicot frôle le bleu gitane. De vastes demi-lunes orangées se courbent dans une mer de turquoise. Le vert des forêts forme une lisière oblique avec le bleu de la mer. Le noir et le vert émeraude se disputent la suprématie dans une bataille de formes qui en appelle au constructivisme, qui se passe d’explications et attend du public qu’il s’approprie la connaissance par l’exploration et l’apprentissage actif. La couleur hisse le regard vers le haut et tous ces drapés qui tombent du ciel forment un spectacle changeant, hypnotique, apaisant, comme la nature, pour peu qu’on la regarde lorsque son échelle dépasse l’homme.
«Dramaturgie du rideau»
Née à Karlsruhe en 1974, à la frontière franco-allemande, «dans une famille de la petite aristocratie allemande mais de parents libéraux, voire bohèmes», Ulla von Brandenburg est une artiste de la scène française. Après une formation en scénographie à Karlsruhe et une brève incursion dans le milieu théâtral, elle se forme à la Hochschule für Bildende Künste, à Hambourg. Elle vit à Paris depuis 2005, puis, pour regagner tout son espace vital et par «rêverie de la campagne», aux confins de l’Île-de-France. Artiste du drapé théâtral et du rite réinventé, Ulla von Brandenburg a cette connexion intuitive et féminine avec le terroir, la forêt, le cycle du vivant dont l’homme n’est qu’une partie. Même la ville la plus minérale ne lui résiste pas.
Avec toute l’audace de la palette, la Fondation Ricard accroche sur des cimaises jaune bouton d’or, bleu dur, bleu pâle, violet, rouge sombre, vert sapin, les tableaux presque pop de Farah Atassi
Elle avait déjà fasciné la 11 Biennale de Lyon, en 2011, placée sous la baguette magique de sa jeune commissaire, l’Argentine Victoria Noorthoorn, avec un tombé de rideau somptueux à La Sucrière. Au Palais de Tokyo, en 2020, son installation «Das Was Ist» jouait de «la dramaturgie du rideau» qu’elle sublime par l’échelle, la suspension dans le vide, le travail magnifique de la couleur artisanale, passée, associée. Puis la couleur continue. Avec toute l’audace de la palette, la Fondation Ricard accroche sur des cimaises jaune bouton d’or, bleu dur, bleu pâle, violet, rouge sombre, vert sapin, les tableaux presque pop de Farah Atassi, née à Bruxelles en 1981.
Lauréate du prix Jean-François-Prat en 2012, elle est nommée pour le prix Marcel-Duchamp en 2013 avant de partir en résidence à l’International Studio & Curatorial Program (ISCP), à New York. Dans ce tourbillon de couleurs, ses tableaux, qui puisent dans la peinture moderne, Picasso, Matisse et Léger, dont elle reprend les codes et les formes pour interroger les conventions de la peinture et les archétypes de l’art moderne, gagnent en peps et en liberté. Ses jambes dressées, ses fruits qui flottent dans l’air rappellent l’amazone du pop, Kiki Kogelnik, et sa Miss Universe, en 1963, montrée en 2020 par le Mamac de Nice. Cocktail très dynamique.
«La société des spectacles , avec Farah Atassi et Ulla von Brandenburg», jusqu’au 20 avril à la Fondation d’entreprise Ricard, Paris (8e).
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