FIGARO HORS-SÉRIE (4/9) – Giuseppe De Nittis est la coqueluche des salons parisiens. Mais c’est à la campagne, en compagnie de Manet, qu’il révèle le meilleur de son art.
Cet article est extrait du Figaro Hors-série Paris 1874, Impressionnisme-Soleil levant, un numéro spécial édité cent cinquante ans après la première exposition impressionniste commémorée par le musée d’Orsay qui a réuni, en un saisissant face-à-face, une large sélection des œuvres qui furent alors révélées au public. Pour être tenu au courant de l’actualité historique et culturelle, abonnez-vous gratuitement à la Lettre du Figaro Histoire.
Ah ! comme ils sont bien heureux de revenir ici pour un nouveau printemps, et un second été, loin du gris de Paris, dans cette villa de campagne qu’ils louent à La Jonchère, non loin de Bougival. Giuseppe est amoureux. De sa femme et de la France. Il a épousé Léontine le 29 avril 1869, la veille de sa première exposition au Salon. Frédéric Reitlinger, le marchand de tableaux avec qui il a signé son tout premier contrat, a été son témoin. Ce contrat lui apporte un confort auquel Léontine veille. Elle ambitionne beaucoup pour lui, pour sa carrière et pour leur vie mondaine. Elle l’introduit partout où elle le peut et lui sert d’interprète quand son français chantant est trop insuffisant. Elle ressemble paraît-il à la mère qu’il perdit quand il avait trois ans et qu’il vivait encore au soleil d’Italie.
Les rives de la Seine lui sont un enchantement, lui qui aime tant peindre en plein air. Passion qui lui valut autrefois son renvoi de l’Académie des beaux-arts de Naples, dont il séchait les cours pour aller peindre dehors. Ici, il peint chaque jour « les chers paysages, d’un vert tendre de jeunesse, et les saulaies presque grises des rives et les brumes transparentes et les ciels pâles. (…) Si tout cela n’est pas ma terre natale, c’est le pays qu’on épouse par amour ». Il va travailler sur l’eau, dès le matin, se promène le soir tandis que la nuit tombe, et passe à travers champs, pour raccourcir la route, en portant sa femme dans les bras les jours où il a plu, « sûr de ma force et content de la montrer ». Cela le change de ce qu’il fait à Paris, où par désir de plaire et pour se faire une place, il produit surtout dans le genre historique et la mode lancée par Fortuny de représenter les gens en costume du XVIIIe siècle. Cecioni l’a d’ailleurs vertement critiqué quand il a vu les deux tableaux qu’il expose au Salon cette année : La Femme aux perroquets et Une réception intime. Il y a trop de Fortuny dedans, pas assez de lui-même, Giuseppe De Nittis, grand amoureux des ciels. Il a compris et en est résolu, il veut être à nouveau l’interprète du vrai.
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Dans la petite maison de La Jonchère, la table est toujours mise et le couple retient à dîner tous ceux qui viennent les voir. « Les repas étaient simples, mais on était très gai. » Parmi les invités, il y a Edouard Manet, qu’ils aiment énormément, et sa femme Suzanne. « Nul n’est meilleur, mieux élevé, de relations plus sûres. Jamais je ne l’ai entendu dire une méchanceté sur qui que ce soit. Il n’a jamais causé un tort à un artiste ; à personne. On le redoutait parce qu’il trouve des mots à l’emporte-pièce, d’une originalité singulière, mots de gamin de Paris, gamin de génie, qui marquait les ridicules, les vilenies et la médiocrité d’une empreinte ineffaçable. Il a cette raillerie joyeuse où le dédain se fait à peine sensible. Une gaieté sort de lui, gaieté communicative comme toute sa rieuse philosophie. Tel je l’ai vu toujours. C’est une âme ensoleillée que j’aime. » Les deux artistes partagent l’amour du réel, et aussi celui de l’art japonais, en vogue depuis l’Exposition universelle de 1867. Manet en est féru, lui emprunte pour ses marines ses formats oblongs, habituels à l’estampe japonaise, et a aimé placer dans le portrait de Zola un très beau paravent. Giuseppe De Nittis bientôt en habillera les murs de ses demeures parisiennes où se presseront leurs amis, les Goncourt, les Daudet, Degas, Zola, Heredia…
Hélas, les nouvelles politiques sont venues assombrir le gai tableau de ce début d’été. Manet si patriote s’est fait plus taciturne. Il regagne Paris, pour avoir les dépêches. Il le soutient avec passion : si la mauvaise politique de l’empire est cause du mal, il faut se débarrasser de l’empire, mais ne pas accuser l’armée ! Pour remercier son hôte, il envoie à De Nittis Au jardin, qu’il a fait justement dans le jardin en fleurs de la rue Franklin où vivent les Morisot. La jeune mère qui pose sur l’herbe, c’est Edma, sœur de Berthe, qui vient d’accoucher de Jeanne. Auprès d’elle, leur frère Tiburce. Il y a un peu de Berthe dans ce tableau, une douceur, quelque chose d’intime, la touche un peu tremblée. En échange, De Nittis lui fait parvenir un portrait de jeune femme, au pastel, avec ces quelques mots : « Mon cher Manet, pardonnez ce pauvre étranger qui ne sait pas vous dire tout le plaisir que vous lui avez fait et qui voudrait tant vous payer de retour… » La guerre est là. Puis la Commune. Manet fait d’abord son service dans la Garde nationale, puis dans l’artillerie. Et De Nittis quitte la France pour sa ville natale de Barletta.
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