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Neuf journées de l’impressionnisme: 13 novembre 1872, Impression, soleil levant de Claude Monet

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FIGARO HORS-SÉRIE (5/9) – Depuis sa chambre d’hôtel du Havre, Monet tente de fixer l’aurore au soleil rouge en une ébauche tremblante. L’impressionnisme est né.

Cet article est extrait du Figaro Hors-série Paris 1874, Impressionnisme-Soleil levant, un numéro spécial édité cent cinquante ans après la première exposition impressionniste commémorée par le musée d’Orsay qui a réuni, en un saisissant face-à-face, une large sélection des œuvres qui furent alors révélées au public. Pour être tenu au courant de l’actualité historique et culturelle, abonnez-vous gratuitement à la Lettre du Figaro Histoire.

Quand il a vu cela depuis sa fenêtre, du soleil dans la buée et devant quelques mâts, et qu’est montée en lui l’angoisse de le saisir, ça lui est revenu comme un paquet d’embruns. Ses tout premiers séjours sur les côtes normandes avec Boudin d’abord, puis Renoir, et Bazille, paix à son âme… et Sisley, et Jongkind. Déjà l’urgence de peindre, et sans un sou vaillant. Leur séjour à Trouville, l’été 1870. Monet venait d’épouser Camille. Les regards appuyés des gens derrière son dos tandis qu’on ramenait du front les premiers blessés : il avait l’âge d’être mobilisé. Son désir de peindre, plus fort encore que tout patriotisme. Jean, si petit, et sa mère : il n’avait plus d’argent pour subvenir à leurs besoins. Son départ à Londres, poussé par Camille, inquiète qu’il ne change d’avis. La mer et le ciel gris. Sa rencontre en exil avec Daubigny et Paul Durand-Ruel, qui devient l’ami et le marchand des impressionnistes. La National Gallery, où avec Pissarro ils étaient allés voir comment les Britanniques s’étaient tirés d’affaire pour traduire en peinture autant de brouillard et si peu de lumière. Et le flou de Whistler. Turner et ses vues de la Seine avaient dit à son cœur combien, au fond, la France lui manquait. Et puis il y avait eu les bruits de guerre civile tout de suite après l’armistice. Les lettres de Renoir qui contaient les combats, les fusillades, les pillages, les incendies, que les Parisiens avaient mangé les animaux du Jardin des Plantes et s’étaient réchauffés avec les arbres des squares et des boulevards. Le départ en Hollande, ses nuances innombrables, comment distinguer l’air de l’eau ? Chaque lever de soleil était une question : quand pourront-ils rentrer ? Promesse d’un jour nouveau. Urgence de peindre, vite, pour vivre, pour exister.

Dans la chambre de l’hôtel du Havre où il se trouve, il dresse son chevalet et fait danser ses pinceaux, en hâte, car à chaque instant le soleil change de place. Sa couleur et celle du ciel se transforment. Comment fixer ce qui échappe ? Il pense aux estampes japonaises que tout Paris s’arrache. Leurs auteurs ont souvent tenté comme lui d’arrêter le soleil, de prolonger sa course sur un bout de papier. Il y a le travail des hommes, le port qui s’organise, tous ces projets industriels dont on entend parler partout, les gares, les ports, les ponts. La vie grouillante et anonyme que le soleil levant nimbe d’éternité. Fumées mauves, brumes grises, bleues, mâts, grues et cheminées. D’un coup rapide, une barque et deux silhouettes. Les ombres sur l’eau et sous le ciel.

Ils avaient retrouvé Paris grouillant d’ouvriers, de chalands, d’échafaudages. Le squelette des Tuileries lui avait fait une drôle d’impression. Et Courbet qui était en prison ! Il avait retrouvé Renoir avec plaisir. Ses œuvres de Hollande, si pleines de soleil, se sont bien vendues. Manet les a trouvées belles. À la fin de 1871, ils se sont installés à Argenteuil, quinze minutes de voyage en train depuis la gare Saint-Lazare. Leur première vraie maison. Il a accroché aux murs ses estampes de Hokusai achetées une bouchée de pain en Hollande, et dont il est si fier. Maintenant que l’argent rentre, c’est lui qui paie ses coups, qui reçoit ses amis, Renoir, Sisley, Manet. Camille est plus heureuse et Jean a les joues rondes. Et lui court la campagne et la ville, à pied, en chemin de fer, et capte sur ses toiles les stigmates de la guerre, et toutes les formes que prend la reconstruction. Ce qui demeure aussi, les jeux d’un enfant, Camille dans le jardin.

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Vite, une tache plus petite pour une deuxième barque, un peu plus loin à gauche, et une autre, perdue dans les reflets des mâts, pour une troisième barque encore un peu plus loin. Les reflets du soleil, roses et orangés, s’étagent et puis se perdent sur l’eau, et jusqu’au peintre. Il est 7 h 35, ce 13 novembre 1872. Monet calme d’un souffle l’anxiété qui le broie chaque fois qu’il tente d’arrêter le temps. Il pose ses pinceaux sans signer ni dater ce qui n’est qu’une ébauche, pochade d’un instant. Lorsque deux ans plus tard il s’agira de fournir la toute première manifestation de groupe impressionniste, il hésitera un peu avant de l’exposer, prudemment et telle quelle sous le titre Impression, soleil levant. Sans soupçonner un instant la portée que ce terme aurait pour l’avenir, ni la valeur d’emblème qu’endosse encore sa toile.

Impression, Soleil Levant par Claude Monet
Musée Marmottan Monet, Studio Baraja

Paris 1874. Impressionnisme, soleil levant, Le Figaro Hors-Série. 14,90 €, disponible en kiosque et sur Figaro Store.

Content Source: www.lefigaro.fr

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