Un lieu magique, une idée de génie, beaucoup de volonté et de travail : c’est ce mélange indicible qui a contribué à l’essor du festival La Noce, à Saguenay, fondé en 2017 par Fred Poulin et Éric Harvey. Nous avons assisté à la première journée de cet évènement joyeux qui se déroule sur trois jours, et qui s’implante de plus en plus dans sa communauté.
Fred Poulin et Éric Harvey se sont connus en première secondaire au Séminaire de Chicoutimi. « La 1C », disent en se regardant les deux amis qui se connaissent depuis toujours, qu’on a rencontrés jeudi, quelques heures avant que les portes de La Noce s’ouvrent aux festivaliers pour la septième année.
Avec l’ami et chanteur Philippe Brach – qui a quitté l’organisation l’an dernier, mais qui montera sur scène ce samedi, dernier jour du festival –, le duo, dont les membres étaient déjà partenaires d’affaires depuis 15 ans à la tête de l’agence d’artistes et de spectacles Ambiances Ambiguës, a présenté La Noce pour la première fois en 2017. Pourtant, la région ne manque pas de festivals de toutes sortes.
Notre idée était de présenter quelque chose de différent, d’amener autre chose.
Éric Harvey, co-fondateur de La Noce
Un petit côté plus niché, avec des têtes d’affiche, bien sûr – Karkwa et Elisapie cette année par exemple –, mais aussi avec une grande place pour la musique émergente.
Les deux Saguenéens ne vivent plus dans la région, mais y ont encore de nombreuses attaches. « On est de fiers Saguenéens, même à Montréal », dit Fred Poulin, en montrant son tatouage du drapeau du Saguenay sur un mollet… Leur désir était donc d’utiliser leur expertise pour créer un festival qui leur ressemblerait. « Et on doit admettre que ça a marché », dit Éric.
L’évènement a grossi très rapidement. Après une première année sans subvention, les différents ordres de gouvernement ont embarqué. « On est passés d’un budget de 60 000 $ en 2018 à au-dessus de 1 million cette année », dit Éric, qui souligne que dans leur cas, l’arrêt pandémique de 2020, alors que le festival n’a pas été présenté, a été bénéfique. « Après trois années rock’n’roll à grandir, ça a été un moment pour se poser, prendre une respiration. Je regardais l’équipe technique aujourd’hui, je me disais : mon Dieu que c’est rendu qu’il y a du monde… »
Endroit magique
D’une seule scène située dans la zone portuaire de Chicoutimi en 2017, La Noce présente maintenant des spectacles sur trois scènes différentes sur le site enchanteur de la Pulperie, complexe historique très bien conservé de l’ancienne Compagnie de pulpe de Chicoutimi. Entre le musée et les ruines, les arbres et la rivière Chicoutimi, le site tout en pentes distille une magie instantanée.
« Quand on grandit dans la région, la Pulperie, c’est l’endroit où on vient faire les visites scolaires », explique Éric. L’investir pour un festival est donc « significatif » parce que riche en histoire, ajoute Fred. « Le premier bâtiment date de 1903, il y avait 4000 résidants à Chicoutimi, dont 2000 qui y travaillaient ! »
L’idée du transfert a germé dès l’an 2 du festival, après un premier test concluant – le festival avait gardé une scène dans le port, et ouvert une autre à la Pulperie. « On a eu un coup de cœur, et les festivaliers aussi. » Cela s’est ensuite fait par étapes, car s’y installer reste plus complexe qu’ailleurs. Par exemple, chaque année, il faut construire un système d’aqueduc. « C’est le père d’Éric qui l’a fait ! » Éric opine. « Même les vieux décors en bois qu’on avait faits avec mon père les premières années, on les utilise encore. »
Comme souvent dans les festivals régionaux, c’est tout un réseau qui s’organise pour y collaborer et le faire fonctionner. La cousine de Fred gère les produits dérivés, ses ados font partie de la brigade verte… Et c’est sans compter le réseau de bénévoles, dont plusieurs reviennent d’année en année.
C’est le cas de Sarah Tremblay, qui a commencé comme bénévole en 2017 et 2018, avant de devenir la responsable de l’équipe en 2019. Aujourd’hui, elle est à la tête d’environ 120 personnes. « En tout, c’est plus de 2500 heures de bénévolat, c’est précieux ! » La jeune femme, qui habite à une minute de la Pulperie, est « tombée en amour » avec La Noce dès la première année.
« L’équipe est incroyable. C’est ce qui fait la différence. Et ce sont de beaux artistes, et un beau site qu’on peut découvrir sous un autre angle. Le Jardin des vestiges, où il y a les mariages… c’est enchanteur. »
Marque de commerce
Les mariages, c’est évidemment la marque de commerce de La Noce. Il faut y avoir assisté une fois pour comprendre l’impact festif et doux qu’ils ont sur l’ambiance générale. L’idée est venue d’Éric en réunion de brainstorm. Résultat : cette année, on célèbre les « Noces de chypre », et toutes les cases horaires se sont remplies en quelques heures, dès qu’elles ont été annoncées sur les réseaux sociaux.
« Au début, les mariages, ça avait une tangente un peu cabotinage, mais c’est devenu de plus en plus sérieux, explique Fred. Les gens célèbrent un vrai amour, ils arrivent costumés, avec des vœux… Moi-même, je me suis marié l’an dernier, après 25 ans de vie commune avec ma blonde. »
Éric renchérit. « J’ai presque pleuré ! » Tout le monde rit. « Non, mais je ne pleure pas beaucoup, moi ! C’est vrai que ça a un impact sur l’ambiance. Entre deux concerts, tu vas t’asseoir dans un mariage de gens que tu ne connais pas, et tu vas vivre un beau moment. »
C’est le suave Gab Paquet qui officie comme chanteur de noces, avec un répertoire qui va de Francis Cabrel à Patrick Norman. Il forme un duo parfait avec Patrick Guérard, célébrant pas ordinaire à la répartie vive comme l’éclair. Les mariages de La Noce n’ont aucune valeur légale, à moins que les époux viennent avec leur propre célébrant. Malgré le côté décalé, il n’y en a pas moins une vérité qui se dégage de chaque cérémonie.
Autour de 25 mariages sont célébrés chaque année à La Noce. « Je sens que mon rôle est important, dit Gab Paquet. C’est très flatteur de me le faire redemander chaque année. » Qui se marie ? Des jeunes qui s’engagent, des moins jeunes qui renouvellent leurs vœux, des couples homosexuels ou hétérosexuels, des trouples. Beaucoup d’amitiés se scellent là aussi.
Ce sont des gens de tous les horizons. Chaque fois, c’est touchant, on passe souvent du rire aux larmes. Et chaque fois, on sent que c’est un moment important de leur été, dont ils vont se souvenir longtemps.
Gab Paquet, chanteur de noces
Équité et émergence
Émilie Tremblay, qui fait partie de l’équipe de programmation depuis quatre ans, arrivait de Québec jeudi. « C’est l’excitation, l’effervescence du début ! J’ai l’impression de retrouver ma famille, là, je vois passer notre directeur du site, David, sur sa moto électrique… »
Entre la programmatrice et La Noce, le mariage a été naturel. « Ça a tout de suite correspondu à mes valeurs. » Des valeurs d’équité et de parité – un paramètre essentiel pour elle –, avec un parti-pris pour l’émergence.
« Le public de La Noce, il est curieux, il veut des découvertes, et c’est un privilège de travailler pour un festival comme ça », lance-t-elle.
Jeudi, entre Philippe B en ouverture de festival et la machine Karkwa en fin de soirée, les festivaliers pouvaient aussi découvrir Rau_Ze et apprendre à connaître Laurence-Anne. Mais Émilie Tremblay aime aussi l’idée de présenter Le Roy, la Rose et le Lou(p) en tête d’affiche samedi, ou Population II dans un contexte autre qu’un After – les spectacles de fin de soirée de La Noce, qui sont aussi célèbres que courus.
En avant La Noce
1/9
« La Noce, c’est une programmation de découvertes qui te permet de renouer avec des artistes plus connus, dans un décor qui fait que tu vas t’en souvenir toute ta vie, estime Émilie Tremblay. Et puis les mariages à 10 piasses ! C’est plein de surprises. C’est ça : j’aimerais te raconter ma fin de semaine, mais… c’est La Noce, et là, il faut que je décante. »
Défis
Après sept ans, il y a encore de grands pas qui se font – cette année, toute l’organisation du site a été changée pour le rendre plus fluide entre les trois scènes. « On est rendus plus dans le fignolage », dit Éric Harvey. L’évènement, qui peut accueillir un peu plus de 5000 personnes, vend son bracelet pour trois jours 100 $.
La Noce est beaucoup le rendez-vous de la jeunesse montréalaise, mais on y croise aussi des gens du coin, de tous les âges. Les familles étaient nombreuses vendredi à 14 h, à l’ouverture du site, pour venir voir le spectacle de Dumas en après-midi. Les festivaliers proviennent à 60 % de l’extérieur, et 40 % de la région.
« Comme festivalier, j’aime aller dans une autre ville, dit Éric. C’est recherché, comme expérience, partir entre amis et vivre quelque chose. Mais on aimerait aller chercher le public local en premier, qu’ils sentent que c’est leur festival. » D’autant plus que La Noce est bien implantée dans sa communauté, avec des partenariats autant avec d’autres entreprises culturelles qu’avec les fournisseurs locaux.
Pour Éric Harvey et Fred Poulin, c’est clair : l’idée de fonder un festival ailleurs que dans leur région natale aurait été impensable, et c’est vraiment une occasion pour eux de redonner.
« Montréal a déjà plein de gros joueurs, dit Fred. Là, c’est un festival à échelle humaine. Avec toute l’expérience qu’on a accumulée, il y a plein d’erreurs qu’on ne fait pas, et on ramène notre expertise chez nous. C’est du chauvinisme pur et dur. »
La Noce, jusqu’à ce samedi 6 juillet
Consultez le site du festival La Noce
Pendant que vous êtes là
Agglomération vivante, Saguenay est évidemment un pôle culturel important dans la région. Dans le secteur de Chicoutimi, quel que soit le moment de l’année où vous y allez, les options sont nombreuses.
Voir
Deux centres d’artistes sont particulièrement dynamiques à Saguenay. Le Lobe est littéralement un laboratoire, lieu de résidence pour artistes qui y exposent ensuite leur travail. Le Centre Bang, rue Racine, est un important lieu de diffusion, qui a deux autres antennes dans la région, au CEM à Chicoutimi-Nord et à la bibliothèque de Jonquière. Et sa librairie spécialisée en art et culture Point de suspension est un vrai bijou rempli de trésors.
Consultez le site du Centre Bang
Sortir
Certains endroits se consacrent davantage à la relève ou à la marge. Deux d’entre eux accueillent d’ailleurs les célèbres Afters de La Noce : le Centre d’expérimentation musicale (CEM), où on peut voir pendant l’année autant de l’impro musicale que des groupes émergents, et le bar La nuit des temps, qui présente régulièrement de l’humour et de la musique. Le plus underground Bar à Pitons (BaP), situé dans le sous-sol d’une maison patrimoniale, présente autant de l’impro et du slam que de la musique.
Consultez le site du Centre d’expérimentation musicale
Consultez le site du Bar à Pitons
Flâner
Situés à quelques pas l’un de l’autre, rue Racine dans le centre-ville, ce sont deux incontournables. Les Bouquinistes est bien implantée dans sa communauté depuis la fin des années 1970. Accueillante et chaleureuse, la librairie indépendante, qui est devenue une coopérative en 2021, est d’ailleurs l’hôte de bien des lancements. Ouvert en 2016 et tenu par des passionnés, le chouette disquaire indépendant Planète Claire est le lieu tout indiqué pour qui est à la recherche d’un vinyle neuf ou d’occasion.
Consultez le site de la librairie Les Bouquinistes
Consultez le site de Planète Claire
Se divertir
Saguenay accueille plusieurs festivals spécialisés pendant l’année. Le populaire Festival international du court métrage REGARD, qui a lieu en mars, présente plus de 200 films de partout dans le monde. En avril, le festival Jazz et blues de Saguenay donne le ton avec une bonne trentaine de spectacles en quatre jours. Évènement consacré à la photographie documentaire sous toutes ses formes, Zoom Photo se déroule en octobre dans plusieurs lieux de la région, et est reconnu autant par le milieu de la photo que par le public.
Consultez le site du Festival international du court métrage REGARD
S’arrêter
Pour se déposer un peu lors d’une balade rue Racine, un petit arrêt au Café Cambio s’impose. Le café y est torréfié sur place, on peut aussi déguster bière ou cocktail et prendre un repas léger. Avec ses quatre établissements, un à Québec et trois à Saguenay, la microbrasserie artisanale La Voie Maltée, comme sa cousine l’Usine Labrasserie, au menu plus complet, reste un lieu à l’ambiance bien agréable, pour manger et boire avant ou après le spectacle.
Content Source: www.lapresse.ca