En 1995, Claude Rajotte décernait une note de 10 sur 10 à Écoute pas ça de Jean-Pierre Ferland. Le légendaire VJ raconte son admiration pour le petit roi, un des cinq seuls artistes québécois qui se sont vu attribuer un score parfait dans toute l’histoire du Cimetière des CD.
Claude Rajotte a généralement horreur du rétroviseur. Lorsque les chaînes d’information en continu lui passent un coup de fil pour qu’il commente la mort d’une star qu’il a déjà interviewée, et il y en a beaucoup, l’ancienne tête d’affiche de MusiquePlus préfère les diriger vers son collègue de l’époque, Mike Gauthier.
La musique qui résonne chez lui, jusqu’à en faire trembler le plancher ? Peu de vieilles choses. Le critique des critiques alterne surtout entre le drum and bass, le dubstep et le hardstyle.
« Un petit mot ici pour vous avouer que je suis aussi attristé par le décès de Jean-Pierre Ferland », a-t-il pourtant écrit sur les réseaux sociaux le 28 avril, au lendemain de la mort du géant, un de ses rares témoignages du genre.
Il se remémorait du même coup le tournage d’une émission de Noël, chez Ferland, à Saint-Norbert, en 1995. « On a eu droit à un traitement royal », écrit-il.
[Jean-Pierre Ferland] nous a nourris toute la journée comme si on était ses enfants. Il s’est donné à 100 %. Je n’avais jamais rencontré un artiste d’une si grande générosité.
Claude Rajotte, sur ses réseaux sociaux, se remémorant une visite chez Ferland en 1995
« Avant qu’on parte, il nous a même donné un joint de son stock », ajoute Claude en riant, attablé chez lui pas loin de sa collection de CD, qu’il n’a pas encore envoyée au cimetière. « J’avais l’impression d’être dans un rêve. »
Écoute donc ça
Quelques mois avant ce tournage, Claude Rajotte avait décerné une note parfaite de 10 sur 10 à Écoute pas ça, l’album du retour en grâce de Ferland. Un peu trop jeune pour vivre la fièvre Jaune (1970) en temps réel, l’animateur né en 1955 nouerait une véritable relation avec l’œuvre de l’ami JP à partir de son disque Les vierges du Québec (1974).
« La réalisation de cet album-là était différente, observe-t-il, le drum sonnait comme une tonne de briques et même si je ne suis pas un amateur de textes, ceux-là nous disaient quelque chose d’important : qu’on n’est pas obligé de vivre la vie de son père. »
Mais dans les années 1980, Rajotte avait un peu perdu de vue Ferland. « Et je pense qu’il s’était un peu perdu de vue lui aussi », ajoute le légendaire VJ en évoquant la décennie durant laquelle l’auteur-compositeur s’est beaucoup consacré à l’animation télé.
D’où l’effet de sa critique qui, en invitant les fidèles du Cimetière des CD à écouter Écoute pas ça, apprendra à toute une jeune génération que l’homme qui pilotait des émissions plus ou moins ringardes à Radio-Québec était d’abord et avant tout un des esprits les plus visionnaires de l’histoire de la musique au Québec.
Écoute pas ça, c’est la pureté même ! C’est l’artiste qui ne sait pas pantoute si ça va pogner, et c’est ça, pour moi, un véritable artiste. C’est un artiste qui prend des risques, sans savoir si ses fans vont suivre.
Claude Rajotte
En entrevue au Cimetière des CD, le principal intéressé expliquera avoir donné comme seule consigne à ses musiciens qu’il fallait créer « pas un disque qui va passer à la radio, pas un disque qui va vendre, juste un disque qui va [le] faire désirer par les femmes ».
Les autres 10 sur 10
En onze ans à la barre du Cimetière des CD (de 1994 à 2004, puis en 2014), Claude Rajotte n’a coiffé d’un score immaculé que dix albums. Parmi eux, six québécois, dont deux évidences : Quatre saisons dans le désordre et Rêver mieux de Daniel Bélanger, « parce qu’il avait un son comme personne n’en avait ici. Ça paraissait qu’il écoutait beaucoup de musique de partout ».
« Fallait que je tripe au boutte pour donner un 10 », explique celui selon qui la cote qui accompagne une critique n’est pas un mal nécessaire, mais bien un éclairage utile. « On est attirés comme des bibittes vers la lumière par la cote. Même moi, c’est ce que je regarde en premier. »
Si les deux 10 sur 10 offerts à l’artiste dont la bohème s’use n’étonnent pas tellement, les autres rarissimes élus vous feront peut-être sourciller. Plan B d’Okoumé, quelqu’un ? « Ils se sont séparés après, se souvient Rajotte, alors je disais aux groupes : si vous voulez survivre, c’est peut-être mieux que je déteste votre album. »
Quant au disque retour de Serge Fiori, en 2014 ?
Il y en a qui pensaient que j’étais tombé sur la tête, mais je suis vendu à Fiori. J’aime sa voix, j’aime ses mélodies, j’aime même ses textes que personne ne comprend. Je les trouve drôles.
Claude Rajotte
Et Le dôme de Jean Leloup, lui ? Il avait moissonné un honorable 9 sur 10. C’est plutôt Le silence des roses, le troisième disque de France D’Amour, qui complète cette liste.
« Un collègue m’avait demandé si j’étais devenu fou », s’exclame Rajotte, hilare. « Je sais qu’il y en a qui, avant cet album-là, la trouvaient quétaine, mais pour moi, l’idée que quelque chose peut être quétaine, ça avait pris le bord il y a longtemps. Ça paraissait là-dessus qu’elle voulait aller ailleurs et pour moi, ça méritait d’être souligné. »
De quoi adoucir la réputation de critique sanguinaire qui colle encore à Claude Rajotte, la faute à ses spectaculaires « Destroy ». « Quand j’étais jeune, j’avais des goûts très tranchés, dit-il, puis j’ai vieilli et j’ai réalisé que mes goûts très tranchés l’étaient beaucoup trop. À partir de ce moment-là, tout ce qui a été important pour moi, ça a simplement été d’être le plus honnête possible. »
Consultez la chaîne YouTube de Claude Rajotte
Les albums québécois coiffés d’un 10
Jean-Pierre Ferland – Écoute pas ça (1995)
Daniel Bélanger – Quatre saisons dans le désordre (1996)
France D’Amour – Le silence des roses (1998)
Okoumé – Plan B (2000)
Daniel Bélanger – Rêver mieux (2001)
Serge Fiori – Serge Fiori (2014)
Les albums internationaux coiffés d’un 10
Soundgarden – Superunknown (1994)
Beck – Odelay (1996)
Radiohead – OK Computer (1997)
Massive Attack – Mezzanine (1998)
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