Les artistes sont aussi la somme des œuvres qui les ont forgés. Marie-Andrée Labbé, scénariste du grand succès télé STAT à Radio-Canada (1,5 million de téléspectateurs, au quotidien), parle de celles qui l’ont marquée à notre chroniqueur Marc Cassivi, dans le cadre de notre rubrique Sous influences.
Marc Cassivi : Je pourrais commencer par te parler de ton amour pour Céline Dion, mais je sais aussi que tu adores la télé…
Marie-Andrée Labbé : C’est à l’adolescence que ça a cliqué fort pour Céline Dion. Enfant, je regardais beaucoup la télé. Ma mère était très admiratrice. Je ne peux pas dire qu’il y a du Passe-Partout dans STAT, mais quelque part, probablement ! (Rires) Passe-Partout, c’est probablement ma première influence, avec Le village de Nathalie, dont j’étais fan finie. J’étais abonnée au fanzine et j’en ai encore ! Je ne vivais que pour ça. Je me déguisais en Mademoiselle Bric-à-Brac au quotidien. J’étais Marie-Thérèse Fortin très tôt !
Tu te plongeais dans un univers…
J’étais dans mon monde parallèle, attirée par un groupe de personnages. C’est ce que j’ai toujours aimé en télé : les différentes dynamiques entre les gens. C’est sûr que ça a influencé la scénariste que je suis aujourd’hui. Ce qui te rend fou de télé quand t’es enfant, tu ne peux pas t’en désintoxiquer.
Tu es plus jeune que moi, mais pour ma génération comme pour la tienne qui n’est pas non plus née avec l’internet, la télé occupait une grande place à l’enfance et à l’adolescence.
Je sortais avec des amis le vendredi soir, je rentrais regarder La fureur et je ressortais après ! Je ne suis pas sûre que je leur disais… Je me sentais vraiment moins seule grâce à la télé. C’est Véronique Cloutier ou Julie Snyder qui m’accompagnait. Je pense que je n’ai raté aucun épisode du Poing J. Je regardais ça le matin, avant d’aller à l’école. Sans ça, je ne sais pas comment j’aurais fait pour passer au travers. Je te jure ! Je me couchais en entendant l’enregistreuse partir – j’avais une petite télé dans ma chambre avec un lecteur vidéo –, et ça me rassurait de savoir que le lendemain matin, j’allais regarder Julie Snyder.
C’est de l’émotion, la télé. Je suis hypersensible et je prenais ça très au sérieux. J’aime les shows qui s’étirent. Pour moi, un film d’une heure et demie, c’est trop court ! Anatomie d’une chute, j’en aurais pris 12 épisodes ! Thelma et Louise, j’en aurais pris cinq saisons, comme Six Feet Under, qui est une série parfaite selon moi.
Ce que tu décris, j’ai l’impression que c’est aussi ce qui plaît au public de STAT. Ça doit te faire une fleur de nourrir ça chez les autres ?
Si la petite Marie voyait ça, elle pognerait quelque chose ! Je dois beaucoup à ces émissions de variétés que j’ai regardées dans ma jeunesse. Les longueurs me rendent folle, comme Julie Snyder. Je veux divertir comme elle. La culture des variétés me nourrit. Elle donne un rythme à ce que j’écris.
En fiction, qu’est-ce qui t’inspirait à la même époque ?
Chambres en ville ! Quand j’ai commencé à écrire STAT, j’ai regardé des épisodes de Chambres en ville. J’avais peur d’être influencée par la fiction d’aujourd’hui. Ça me ramenait aux genres de revirements que ça prend pour garder un public en haleine. Je n’avais jamais écrit de quotidienne et je sais que j’apprends mieux en voyant. Plutôt que de me le faire expliquer, j’ai regardé Chambres en ville. La mort de Caroline (Julie Deslauriers) m’a bouleversée longtemps. C’était tellement injuste ! Je regardais aussi Watatatow, Les filles de Caleb, Scoop, Jamais deux sans toi. J’étais ado et c’était heavy ! Je regardais ça avec ma mère.
J’ai des souvenirs de regarder Chambres en ville avec mon ancienne coloc Marie. Est-ce que ça a bien vieilli ? Est-ce que tu regardes ça avec indulgence aujourd’hui ?
Je suis toujours indulgente. L’ironie quand je regarde la télé ? C’est non. Jamais de second degré, ce n’est pas un plaisir coupable. Si j’aime ça, j’aime ça. Je n’ai pas à me justifier à quiconque qui trouve ça quétaine. Quand je ne disais pas que je rentrais écouter La fureur, ce n’est pas parce que j’étais gênée, c’est parce que je voulais que ça reste intime. Je n’avais pas envie de m’expliquer.
C’est sûr que la télé des années 1990 avait un autre rythme ! Des scènes de huit minutes à deux personnages sur un divan, on ne peut plus faire ça. En même temps, ça reste le même exercice. Raconter une histoire, parler aux gens d’eux-mêmes, mais aussi leur montrer des choses qu’ils ne connaissent pas. Il y avait ça dans Chambres en ville. Ça développe l’empathie.
C’est aussi à l’adolescence que Céline est arrivée dans ta vie…
J’ai eu un kick sur Céline quand elle a animé l’ADISQ [en 1998]. C’est l’animatrice qui m’a accrochée avant la chanteuse. Je la connaissais déjà, mais quand je l’ai entendue se commettre, quand j’ai senti sa vulnérabilité, quand elle m’a fait rire, elle m’a eue. Et elle m’a achevée en chantant S’il suffisait d’aimer. J’ai regardé ce gala-là, par bouts, au moins 200 fois ! J’ai acheté les albums, j’ai lu la bio de Georges-Hébert Germain et je suis partie en vrille. C’était pour moi l’apprentissage de la discipline, de ce que ça prend pour se dépasser.
Tu dois être la plus grande admiratrice de Céline Dion, l’animatrice…
Ce sont plus des gens qui ont été marquants pour moi que des œuvres. J’ai connu Tina Fey dans 30 Rock et j’ai tout voulu voir ce qu’elle a fait. J’ai découvert Anne-Marie Cadieux à la télé et je suis allée voir toutes les pièces de théâtre dans lesquelles elle a joué depuis que je suis arrivée à Montréal de L’Anse-Saint-Jean, à 17 ans. C’est une œuvre en soi, Anne-Marie Cadieux au théâtre ! Ma mère est décédée l’an dernier et je suis allée voir Anne-Marie Cadieux toute seule. C’est quelque chose de réconfortant pour moi, cette liberté qu’elle a, sa façon de s’approprier les rôles.
Est-ce que tu as déjà dit à Anne-Marie Cadieux à quel point elle compte dans ta vie ?
Non. Jamais. Mais Julie Snyder, oui. J’ai besoin d’admirer les gens. C’est une position que j’aime ; elle n’est pas impliquante. La seule autre personne à qui j’ai dit que j’aimais ce qu’elle fait, c’est Sylvie Moreau. Je capotais ben raide sur la sitcom Catherine. J’enregistrais toutes les émissions sur des cassettes VHS. Grâce à elle, j’ai découvert Post Mortem [de Louis Bélanger] au cinéma.
Je l’ai croisée dans un party et je l’ai remerciée. On a jasé et je suis devenue sa locataire ! De 19 à 25 ans, j’habitais au-dessus de chez Sylvie Moreau. Et grâce à elle, j’ai découvert Marcel Proust, qui a changé ma vie. Ça me fait rire que ce soit grâce à la sitcom Catherine que j’ai découvert À la recherche du temps perdu ! Pour moi, c’est tout à fait lié. Un groupe de personnages, dont on découvre les dynamiques et les émotions. J’y reviens souvent. Pour moi qui aime les œuvres qui ne finissent jamais, je suis gâtée !
Tu parlais de la mort de ta mère, qui était une grande admiratrice de télé et qui t’a influencée. Est-ce que le fait qu’elle t’ait vue éclore comme scénariste te console un peu de son départ ?
Oui. Elle a vu la première saison de STAT. Dans le village, chez nous, elle s’en faisait parler. Elle ne sortait pas de l’épicerie avant une heure ! Tant que je vais faire STAT, ce sera toujours pour elle. Je le sais que je suis tombée dans ses goûts quand j’ai fait STAT. Probablement que c’est un mélange de tout ce qu’on a regardé ensemble. Elle était exigeante, mais bon public. Elle avait toujours des commentaires pertinents et elle me protégeait de tout. Elle ne m’aurait jamais fait un mauvais commentaire sur ce que je fais, mais elle me parlait moins de Sans rendez-vous que de STAT, mettons !
Quand j’écris des intrigues qui peuvent déplaire, que l’histoire me mène à écorcher ou à brasser les gens, je me dis que ma mère va être épargnée. Au moins, je ne lui ferai pas de peine avec ça. Avec STAT, elle va toujours être là.
La troisième saison de STAT est présentée du lundi au jeudi à 19 h sur ICI Télé.
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