L’Espace Go ouvre sa saison, la première sous la barre d’Édith Patenaude, avec Moi, Jeanne, une pièce qui remet en question l’identité de genre de la Pucelle d’Orléans. Une production percutante, qui s’inscrit dans le désir de la nouvelle directrice de faire « un grand appel d’air » au théâtre.
D’emblée, soyons honnête. On allait voir Moi, Jeanne avec un très gros biais… Encore du théâtre à message pour « celleux » qui ne comprennent rien à la révolution identitaire ? Mais peut-on raconter juste une histoire et laisser le public penser par lui-même ? Finalement, ce spectacle nous a fait réfléchir, tout en nous divertissant.
C’est le propre de la jeunesse révoltée d’être pressée. Si on veut changer le monde, on n’a pas le temps d’attendre après le consensus. Ni de s’enfarger dans les nuances.
L’artiste britannique Charlie Joséphine a eu un très bon flash d’associer l’urgence et la fougue guerrière de Jeanne d’Arc au nouveau combat sur l’identité de genres, mené par de jeunes militants LGBTQ+, impatients d’en finir avec la société patriarcale.
« Et si Jeanne d’Arc avait été non binaire ? » Voilà la prémisse de la pièce, mise en scène avec aplomb par Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau. Leur spectacle juxtapose le médiéval et le contemporain, la caricature et la tragédie, le burlesque et le militantisme. Leur proposition est radicale, voire frontale, mais avec beaucoup d’humour et d’invention.
Guerre civile et identité
On connaît l’histoire de l’héroïne française, condamnée pour hérésie et morte au bûcher à 19 ans. Durant la guerre de Cent Ans, la paysanne de 17 ans affirme être « mandatée par Dieu » pour sauver la France. Elle va voir le dauphin et futur roi, Charles VII, pour le convaincre de la laisser mener son armée contre les troupes anglaises qui occupent le pays.
Dans cette version « queer », Jeanne mène un second combat : se débarrasser d’une étiquette genrée qui ne lui correspond pas.
Naître femme dans un monde d’hommes, c’est la guerre. Mais naître dans un corps de femme quand t’es pas une femme, c’est la guerre civile.
Le personnage de Jeanne, interprété par Geneviève Labelle
Sous l’énergique direction de Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau, dans la langue colorée de Sarah Berthiaume, la production passe du message sociopolitique au party rave, de la tragédie identitaire à La Ribouldingue (ou à la commedia dell’arte, si vous ne connaissez pas cette émission jeunesse des années 1970). On évoque le mépris patriarcal ; le mansplaining ; les violences sexuelles, l’arrivisme des femmes de pouvoir…
Le droit d’être soi
Si le texte est pamphlétaire — « Être queer, c’est magique ! Vos [vieux] mots sont de la marde ; il faut déconstruire les normes sociales pour déborder des petites cases » —, Charlie Joséphine arrive à raconter l’histoire de la sainte patronne de la France, tout en la remettant en question. On est touché par la quête de sa Jeanne non binaire qui se bat pour la justice. Et le droit d’être soi.
Or, ce qui nous a surtout séduit, c’est la forme. Les scènes de batailles chorégraphiées par Alexandre Morin ; la musique enlevante de Barbara Bonfiglio (Misstress Barbara) ; les costumes hallucinants de Wendy Kim Pires ; les éclairages et la scénographie. On baigne dans un charivari de styles, de couleurs et d’intentions assez vivifiant.
La distribution de 12 interprètes est inclusive et… fluide. Mentionnons Geneviève Labelle qui incarne à merveille la flamboyante Jeanne ; Thomas, le confident du roi, joué avec vérité et sensibilité par Gabriel Favreau ; sans oublier Gabriel Szabo. À la fois risible et tragique, le comédien est remarquable dans la peau du frivole monarque qui ne cesse de scander son autorité. Une grande performance d’acteur !
Moi, Jeanne
Par Charlie Joséphine
Traduction : Sarah Berthiaume
Mise en scène : Geneviève Labelle & Mélodie Noël Rousseau
À l’Espace Go , Jusqu’au 20 octobre
Content Source: www.lapresse.ca