En invalidant l’arrêt Roe c. Wade il y a deux ans, la Cour suprême des États-Unis a tranché : non, l’avortement n’est finalement pas un droit constitutionnel. Depuis, 14 États l’ont interdit, et 7, sérieusement restreint. Se pourrait-il que ce courant antiavortement chez nos voisins du Sud déteigne aussi chez nous ?
Tel est le point de départ de l’enquête documentaire menée par Léa Clermont-Dion, présentée ce lundi soir à 20 h sur les ondes de Télé-Québec, également en compétition officielle à Cinemania, dans la section documentaire, qui se tient du 6 au 17 novembre.
« Nos droits sont-ils menacés ? », l’entend-on s’interroger, dès les premières minutes du film.
La réponse courte : oui. Et rien de ce que vous entendrez ensuite n’est rassurant. À tous ceux qui croient encore que ce qui se passe de l’autre côté de la frontière reste de l’autre côté de la frontière, vous risquez d’être surpris.
Peut-être l’avez-vous déjà entendue s’exprimer sur le sujet à Tout le monde en parle, plus tôt ce mois-ci. Ou avez lu ses propos ici même, dans la section Dialogue, la semaine dernière.
Certes, Léa Clermont-Dion est un peu partout, depuis la publication de son essai Porter plainte (finaliste des Prix littéraires du Gouverneur général et de la première édition du Prix littéraire Janette-Bertrand), jusqu’à son ouvrage sur le consentement (Salut, ça va ?), en passant, bien sûr, par la tristement célèbre saga « bouche ouverte et tête penchée », déclenchée malgré elle, faut-il le rappeler.
Or, l’enjeu est ici si sérieux qu’il serait dommage de l’évacuer pour cause de personnalité surmédiatisée.
« J’étais comme dans Handmaid’s Tale ! »
Pendant près d’une heure, le spectateur la suit dans sa quête, à la rencontre de manifestants antiantiavortement, de Washington à Ottawa, en passant par Québec. Objectif : laisser parler des « voix » qu’on entend peu, et surtout « documenter une parole qu’il faut surveiller dans les prochaines années », résume-t-elle en entrevue. Cela a quelque chose de surréaliste par moments. On se croirait parfois plongé dans un voyage dans le temps.
La documentariste tend en effet son micro, et personne ne se prive pour exprimer son point de vue, sa mission, sa philosophie. Mentionnons George Buscemi (président de Campagne Québec-Vie, de toutes les manifestations, aux États-Unis comme ici), Abby Johnson (militante antiavortement américaine, croisée elle aussi à Washington comme à Ottawa), mais aussi, première surprise, et non la moindre, quantité de jeunes et éloquents manifestants. « Je m’attendais à deux ou trois têtes grises, mais non, ce sont des jeunes ! »
Ils sont même drôlement convaincants, s’étonne Léa Clermont-Dion à la caméra. Précisons que même si son jupon dépasse, la militante féministe fait preuve d’une solide retenue face à ses interlocuteurs, et ce, tout le long de l’exercice, qu’on devine pénible par moments.
Il faut la voir naviguer dans une manifestation antiavortement (de plus de 200 000 personnes, selon les organisateurs), poser des questions ouvertes, sans jamais perdre son sang-froid, derrière ses lunettes fumées scotchées au visage. « J’étais comme dans Handmaid’s Tale ! », décrit la documentariste.
Personnellement, c’est mon tournage le plus marquant. […] C’est rare d’être entouré d’autant de personnes qui ne pensent pas comme toi, et de voir tout le monde convaincu.
Léa Clermont-Dion, documentariste et autrice
Équilibre oblige, Léa Clermont-Dion donne aussi la parole à des voix pro-choix, à commencer par Louise Desmarais, militante québécoise de longue date, à qui elle s’adresse indirectement tout le long du film.
Mentionnons aussi Jean Guimond, médecin montréalais qualifié de « nouveau Morgentaler », lequel s’est vu contraint de porter un gilet pare-balles dans les années 1990, et surtout le politicien canadien Alain Rayes, qui a quitté le Parti conservateur pour cause de conflit de valeurs. « Depuis 1988, 48 projets de loi privés ont été déposés […] par des députés qui voulaient restreindre l’avortement, dit-il dans le film. C’est épeurant… »
« Ces discours gagnent du terrain partout »
« Ce n’est pas niché du tout, cette montée de la droite, elle existe, reprend Léa Clermont-Dion. La manifestation à Ottawa, elle n’était pas anecdotique, il y avait 10 000 personnes ! »
Et puis si cela ne vous convainc pas encore, sachez que des lignes téléphoniques soi-disant d’« aide à la grossesse » sont en réalité financées par des organismes antiavortement, ici même au Québec. « On en a appelé une dizaine, fait valoir la documentariste, et ils tenaient toujours le même discours. » Du genre : attention, si vous optez pour un avortement, vous pourriez le regretter…
Tout cela pour dire que oui, Léa Clermont-Dion a peur.
« J’ai peur pour l’avenir. Ces discours gagnent du terrain partout. […] Au Canada, on va vers quoi dans les prochaines années ? On va vers un changement de gouvernement, et la priorité, ce ne sera pas le droit des femmes… »
Morale : « il faut rester aux aguets ». Et parions que c’est exactement ce qu’elle va faire.
Le documentaire La peur au ventre sera projeté à Cinemania en présence de la réalisatrice le 15 novembre au Cinéma du Musée à 18 h, puis le 16 novembre au Cinéma Moderne à 15 h 30.
Content Source: www.lapresse.ca