Il y a quelques très beaux tableaux dans cette autofiction de Krystel Descary, qui explore à la fois les thèmes de la mort et de l’abandon. Mais l’auteure de cette pièce-ovni, qui incarne sur scène une thanadoula, sorte de sage-femme de la mort, prend l’énorme risque – pas très heureux – de mélanger les genres.
Faire la mort s’ouvre de la plus étonnante manière, avec l’entrée en scène de l’auteure et comédienne Krystel Descary, qui nous parle de l’accompagnement en fin de vie et des étapes qui nous mènent à notre dernier souffle. La perte d’appétit, la perturbation du cycle du sommeil, la décoloration de la peau, l’incontinence, etc.
Son objectif ? Nous faire prendre conscience de notre finalité et documenter – parfois assez froidement – les derniers moments de notre existence.
On a un peu l’impression d’un TED Talk sur la grande faucheuse, mais aussi sur le métier de thanadoula, qui consiste entre autres à mettre en place des rituels, pour mieux faire le deuil des personnes qu’on a aimées. Pratique sans doute de plus en plus populaire avec le rejet croissant des cérémonies religieuses.
Puis l’auteure sort de scène et son alter ego, incarné par Laetitia Isambert-Denis (très juste), apparaît, accompagné de sa maman (excellente Isabelle Vincent). La pièce à proprement parler commence lorsque celle-ci demande à la jeune Krystel si, le jour venu, elle souhaite être informée de la mort de son père, qu’elle n’a pas connu…
Cette question bouleverse la jeune femme, qui aimerait en savoir plus sur ce père absent, qui a abandonné femme et enfant quelques mois après sa naissance. Dans les faits, la jeune Krystel refuse de faire le deuil de ce père étrange (Pier Paquette), qui vit de son côté comme si elle n’existait pas.
Elle va donc aller à sa rencontre. Sans en tirer grand-chose, malheureusement.
Deux lignes narratives
Faire la mort explore ainsi deux quêtes en parallèle : d’abord celle (prometteuse) des retrouvailles de Krystel avec ce père fuyant ; et puis son apprivoisement de la mort (au sens propre, comme au figuré), qui est censé être le sujet principal de cette pièce.
Y a-t-il un rapprochement à faire entre ces deux lignes narratives finalement assez inégales dans la représentation ? Disons que le lien est ténu.
En tout cas, on comprend que le personnage de Krystel déploie beaucoup d’énergie à renouer avec ce père fantomatique, qui lui a transmis une peur bleue d’être abandonnée, et qu’elle souhaite trouver une paix intérieure avant la fin de son aventure terrestre (et de celle de son père).
Au fil de cette histoire – à laquelle s’ajoute l’amitié profonde de Krystel avec son amie Marie (fabuleuse Joanie Martel), qui donne lieu à certaines des plus belles scènes de Faire la mort –, la vraie Krystel Descary poursuit ses apartés pédagogiques sur la mort. Des interventions qui brisent le rythme de la pièce sans jamais faire avancer le récit.
La confusion est ensuite totale lorsque Krystel Descary la conférencière se lance dans l’arène pour interpréter son propre rôle à 40 ans.
Bref, on baigne ici dans ce qu’on pourrait appeler un salmigondis théâtral, où l’on mélange non seulement les genres (sans grand succès) – une combinaison de conférence, de théâtre documentaire et de fiction –, où l’on creuse deux sillons (intéressant en soi), mais qui ne se rejoignent finalement jamais : celui de l’abandon et celui de la mort.
Malgré tous ces facteurs déstabilisants, les acteurs défendent assez bien cette partition difficile, en particulier Isabelle Vincent (la mère) et Joanie Martel (l’amie de Krystel), toutes deux très solides.
Mention spéciale également à Mykalle Bielinski, qui chante magnifiquement, notamment dans la scène finale, qui charrie de belles émotions.
Heureusement, ce récit ébouriffé – continuellement interrompu, vous l’avez compris – est aussi habilement mis en scène par Marie-Ève Milot, qui a déversé plusieurs tonnes de terre noire sur la scène, question de bien camper l’action dans un lieu mouvant, parfois même macabre, qui tôt ou tard va nous accueillir, pour ne pas dire nous avaler.
L’idée d’y camoufler les accessoires de scène, retirés de la terre au fur et à mesure par les personnages, est aussi riche et astucieuse, tout comme les rideaux dorés qui éclairent en quelque sorte la scène. Chapeau ici à la scénographe Geneviève Lizotte, mais aussi au concepteur aux éclairages Étienne Boucher, qui crée de petits moments magiques dans cette proposition où, malheureusement, le spectateur est invité à décrocher.
Faire la mort
Avec Isabelle Vincent, Laetitia Isambert-Denis, Krystel Descary, Joanie Martel, etc. Mise en scène : Marie-Ève Milot, À Espace GO jusqu’au 8 décembre
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