En situant son nouveau film dans une maison de retraite au quotidien mouvementé, le québécois Denys Arcand se moque de notre époque. Loin du politiquement correct.
Il en a vu d’autres. Il reçoit un prix littéraire au milieu de féministes déchaînées. En plus, il y a erreur sur la personne: le véritable lauréat est un homonyme. Jean-Michel Bouchard assiste à la cérémonie avec un regard amusé et furibard. Ce septuagénaire en costume trois-pièces de bonne coupe observe d’ailleurs ses contemporains avec une solide dose de philosophie. Vaguement écrivain, il vit dans une luxueuse maison de retraite entourée d’un vaste parc. Son pays a changé. Bientôt, il ne le reconnaît plus. Il lui faudrait peut-être des lunettes neuves.
La directrice pète-sec mène ses troupes à la baguette. Elle pose des yeux attendris sur son pensionnaire préféré. Celui-ci ne se doute de rien: chaque semaine, une grande bringue blonde lui rend visite. Cela provoque des vagues de jalousie. Dans un salon, un résident joue des morceaux classiques au piano.
Attention où l’on pose les pieds. Les mots sont à double tranchant
Voilà qu’un beau matin, un groupe de manifestants s’installe sur la pelouse de l’établissement. Il s’agit de protester contre la fresque murale du hall représentant Jacques Cartier en tenue d’apparat et des autochtones à moitié nus. Ce scandale ne saurait perdurer. Les «premières nations» méritent le respect. Aucun Amérindien parmi les contestataires qui brandissent des banderoles, ce qui ne les gêne pas du tout. Ils sont déguisés en Peaux-Rouges, martèlent sur des tambours des airs qu’ils croient fidèles aux tribus annexées par les odieux colonialistes. L’affaire remonte jusqu’au gouvernement. La ministre en charge se défausse. Des ouvriers recouvrent l’œuvre incriminée de peinture blanche.
Bouchard pousse de gros soupirs. Sa voisine de palier ne veut plus qu’on l’appelle Stéphanie. Dites désormais Stef. Le héros s’entraîne avec ironie à s’exprimer en langage non genré (essayez: le résultat est savoureux). Les offensés se découvrent de plus en plus nombreux. Attention où l’on pose les pieds. Les mots sont à double tranchant. La pauvre directrice est dépassée par les événements. Son poste est en jeu. Par-dessus le marché, sa fille ne lui adresse plus la parole depuis des années.
Slogans bien intentionnés
À 82 ans, Denys Arcand n’a pas l’âge de ses artères. Mais avec Testament, il a la dent dure. L’époque le désole. Il choisit de s’en moquer. Le programme est infini. C’est le monde à l’envers. L’inculture le dispute à la bêtise, qu’accompagne souvent l’arrogance. Rémy Girard, l’acteur fétiche du réalisateur, trimbale sa silhouette massive et débonnaire dans cet univers où les bibliothèques serbes rabrouent leurs fidèles avec une drôlerie ravageuse. L’enfer se pare de slogans bien intentionnés. Une certaine tendresse n’est pas exclue quand il s’agit de décrire les mœurs des seniors à qui il reste les jeux vidéo pour unique distraction. «À 3000, je suis un super-héros!», dit un bonhomme aux cheveux blancs qui s’excite sur sa manette depuis cinq heures. Ce courant d’air salubre fait un bien fou. Contre le politiquement correct, la méthode Arcand est la meilleure. Cela se passe au Québec, c’est-à-dire partout. On attend l’équivalent chez nous. Il n’est pas interdit de rêver.
«Testament». Comédie de Denys Arcand. Avec Rémy Girard, Sophie Lorain et Marie-Mai. Durée: 1h55.
L’avis du Figaro: 3.5/4.
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