Le rappeur démontre une fois de plus qu’il maîtrise l’aspect technique de son art comme pas un, mais son propos fait grincer des dents jusqu’aux gencives.
Dans le film 8 Mile, le battle rapper B-Rabbit, incarné par Eminem, remporte l’affrontement final en énumérant chacune de ses failles, laissant son adversaire sans mot.
Le vrai Eminem emploie une méthode similaire sur The Death of Slim Shady (Coup de Grâce), son 12e album solo et premier depuis 2020. Le MC de Detroit assume son côté provocateur et anticipe la critique d’une telle façon qu’il pare à l’inévitable réaction négative des défenseurs de la rectitude politique. Et il jette le blâme sur son alter ego Slim Shady.
En dépit de la stratégie de l’artiste de 51 ans, on ne juge pas futile d’écrire ce qui ne fonctionne pas avec cette nouvelle offrande.
La vidéo du premier extrait, Houdini, illustre bien le concept de The Death of Slim Shady. L’arrogance et le franc-parler de celui-ci ont permis à Marshall Mathers, véritable nom d’Eminem, d’enchaîner les succès au tournant des années 2000. My Name Is, Role Model, The Real Slim Shady, Without Me et d’autres ont marqué l’époque par leur humour et leur irrévérence. Les refrains accrocheurs et les rythmes entraînants y sont aussi pour beaucoup.
Rappeur d’immense talent, Eminem s’est graduellement éloigné du personnage de Slim Shady au profit d’une écriture plus raffinée. Des problèmes familiaux et de consommation ont également eu un impact sur son œuvre, notamment sur les disques Relapse et Recovery. Après une série d’albums inégaux, voire décevants, Marshall Mathers a choisi de faire de nouveau cohabiter Shady et Eminem. Ou plutôt de les fusionner, comme dans le clip d’Houdini.
Le résultat est 19 chansons truffées de prouesses verbales, de flows inimitables, d’émotions sincères, mais aussi d’impertinence crasse, de moqueries juvéniles et d’insultes gratuites.
Acharnement injustifié
Exemple sur Road Rage : « I walk around more confused than my aunt Linda’s man-friend/A black transgender Klan member/Who’s a Caitlyn Jenner fan and a/Member of Grindr and Tinder ».
L’obsession d’Eminem pour les trans, particulièrement Caitlyn Jenner, mentionnée une dizaine de fois, est troublante – celle pour Christopher Reeve, mort il y a près de 20 ans, aussi. Les petites personnes et les handicapés ne sont pas épargnés.
En anglais, on utilise l’expression rage-baiting, un stratagème visant à causer volontairement l’indignation. Certaines salves du rappeur provoquent de satisfaisantes réactions et parfois des sourires – notamment ce qu’il dit à propos de Diddy –, mais la plupart de ses cibles n’ont jamais demandé ou même suscité toute l’attention qu’il leur donne. Eminem serait probablement l’une de ces personnes fâchées sur l’internet s’il n’avait pas un micro.
Ceux avec qui il le partage sur The Death of Slim Shady ne cassent pas la baraque, à l’exception de JID sur Fuel. Une réussite, le morceau rebondissant coproduit par Mr. Porter et Eminem se termine par l’un des meilleurs couplets récents de ce dernier.
Il cosigne d’ailleurs la presque totalité des beats… pour la plupart plutôt ennuyeux. Certes, par leur simplicité, Eminem a tout l’espace pour s’exprimer, mais plus de variété aurait été bénéfique.
Somebody Save Me est en partie ce qu’on espérait, mais elle arrive après plus d’une heure de musique. Les paroles senties à propos des personnes qu’il a négligées, le puissant refrain de Jelly Roll ainsi que la piste aux accents country rock polie par Benny Blanco, Emile Haynie et l’artiste principal s’harmonisent pour un moment de grâce.
Extrait de Somebody Save Me
Davantage de ceux-ci auraient peut-être sauvé l’album. Mais on s’interroge sur le désir d’Eminem de faire du rap pour adultes. Ses tentatives précédentes n’ont pas toujours été bien reçues et ses loyaux fans semblent préférer les idioties de Slim Shady. Attendez-vous donc à ce qu’il soit ressuscité.
Rap
The Death of Slim Shady
(Coup de Grâce)
Eminem
Shady Records
Content Source: www.lapresse.ca