Festival international de jazz de Montréal | Soirée forte en émotions avec Charlotte Day Wilson et Jeremy Dutcher

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Quelle belle proposition que de convier les festivaliers à un spectacle de Jeremy Dutcher suivi d’une prestation de Charlotte Day Wilson, mercredi soir, sur la grande scène du Festival de jazz.


L’auteure-compositrice-interprète torontoise Charlotte Day Wilson a une belle relation avec Montréal, qu’elle entretient avec soin. Le public aussi veille à entretenir ce lien en répondant toujours à l’appel lorsque l’artiste est dans la métropole, comme ce fut le cas mercredi soir. Elle avait été invitée il y a seulement trois ans sur la même scène de ce même festival. Depuis, elle a sorti l’album Cyan Blue, au début de cette année, qu’elle a interprété presque en entier mercredi sur la place des Festivals.

Le mandat de donner un spectacle extérieur dans un festival à 21 h 30 un mercredi possiblement pluvieux est ingrat, même au beau milieu de l’été. Pourtant les festivaliers n’ont pas tardé à se masser devant la grande scène du Jazz pour leur rendez-vous avec Charlotte Day Wilson.

Celle qui a déjà habité Montréal est venue y offrir la douceur de sa musique, entamant le spectacle au piano, avec une partie de New Day, tirée de son récent album, qui a coulé dans Mountains, du précédent. La harpe, le piano et la voix se sont complétés, la batterie s’est ajoutée à la danse, puis la guitare et les chœurs, permettant un crescendo tout en élégance et en puissance.

PHOTO MARIKA VACHON, LA PRESSE

Charlotte Day Wilson est réservée, mais sa présence sur scène est envoûtante. Vêtue d’amples t-shirt et pantalon noirs, ses cheveux blonds tirés en arrière dans sa queue de cheval habituelle, elle ne fait rien pour rechercher l’extravagance et c’est tout en simplicité, par sa voix et ses mots seulement, qu’elle nous conquiert.

Sans jamais trop en faire, elle nous convie à la suivre à travers les notes sensuelles de ses refrains. De puissantes harmonies (assurées par la Montréalaise Ouri, également au violoncelle et aux claviers) l’ont justement souvent soutenue sur ces refrains. Les arrangements instrumentaux, sans trop de flafla non plus, mais qui deviennent puissants lorsqu’il le faut (l’interprétation de Forever a été électrique, par exemple), sont tombés en plein dans le mille, rendant chacune des chansons percutante.

Après la troisième chanson, la pluie s’est invitée et a découragé plusieurs festivaliers, mais la plupart ont refusé de se faire chasser. Il y avait moins de gens déjà sur la place des Festivals quand la groovy Do U Still a débuté, mais la voix mielleuse et chaude de Charlotte Day Wilson a su réchauffer l’ambiance. On a perdu des joueurs, mais rien n’a vraiment paru. « Nous ne laisserons pas la pluie gâcher notre soirée », a-t-elle décrété, déposant sa guitare électrique pour passer à Canopy.

I Don’t Love You (majestueuse) puis la populaire If I Could (qu’elle a recommencée en rappelant à la foule qu’elle y parle de se laver de ses péchés et que la pluie était ainsi tout indiquée pour en profiter) ont suivi, tandis que l’averse se faisait plus insistante encore.

Le moment était extraordinaire. Il s’est poursuivi avec Money, I Can Only Whisper (agrémentée d’un sensuel solo de guitare de Day Wilson), What You Need (morceau dansant de Kaytranada auquel elle a collaboré, qui a permis un autre solo… de saxophone cette fois !), Falling Apart (parfaite formule guitare électrique-voix), entre autres, la voix de l’artiste magnétique, la basse omniprésente, les chœurs ensorcelants.

PHOTO MARIKA VACHON, LA PRESSE

Des spectatrices manifestement ravies, malgré la pluie, mercredi soir

Une averse plus tard, il restait encore un peu moins de gens lorsque, la soirée tirant à sa fin, est venu le temps du succès Work (chanté par les valeureux encore aux premières loges), puis de Cyan Blue et Walk With Me, deux magnifiques récentes chansons qui ont joliment fait office d’au revoir à un public comblé.

S’il ne s’agissait pas de la plus grande foule qu’ait connue le Festival de jazz cette année, ceux qui étaient là et ont persévéré ont eu droit à une grande performance.

Jeremy Dutcher, rassembleur

PHOTO MARIKA VACHON, LA PRESSE

L’auteur-compositeur-interprète Jeremy Dutcher sur la place des Festivals, mercredi soir

Jeremy Dutcher était sur scène juste avant. L’auteur-compositeur-interprète a fait paraître l’an dernier son plus récent album, Motewolonuwok, dont il a présenté plusieurs chansons mercredi soir. L’artiste wolastoqey y a mené plus loin son besoin de s’adresser à son peuple, mais aussi de créer un dialogue avec les allochtones.

Sur ce disque, il a chanté en anglais pour la première fois (avec l’exaltante chanson Take My Hand, qu’il a interprétée en fin de spectacle), comme pour parler à ceux qui veulent bien l’écouter en les regardant directement dans les yeux (ou en leur chantant directement dans les oreilles).

Sa quête de dénonciation, de célébration et de réconciliation se matérialise aussi sur scène. L’artiste et militant de la Première Nation de Neqotkuk, qui réside à Montréal, sait que ceux qui comprennent les mots qu’ils chantent se sentiront enfin concernés et que ceux qui ne les comprennent pas seront emportés par leur beauté.

Il a par exemple présenté la chanson Skicinuwihkuk en énonçant les paroles puis en les traduisant : « Tant qu’il y aura un enfant parmi mon peuple, nous protégerons notre territoire. » Puis il nous a fait entendre qu’au-delà des mots puissants, la beauté de la musique qu’il a confectionnée pour les accompagner détient un pouvoir tout aussi fort. Interprète de grand talent, il a été bouleversant (et divertissant !) une heure durant.

La poétesse et autrice Natasha Kanapé Fontaine est plus tard venue réciter un fabuleux poème en innu et en français, les notes au piano de Dutcher magnifiant le moment.

En entrevue avec La Presse l’an dernier, Jeremy Dutcher expliquait vouloir que les gens viennent voir ses spectacles parce qu’il s’agit d’occasions pour lui de « mettre en contexte » ses chansons et les mots qu’elles font entendre, pleins de sens et d’Histoire. C’est exactement ce qu’il a pu faire mercredi, devant une foule à l’écoute.



(Re)lisez notre article « Jeremy Dutcher et l’importance des mots »

« Vous réaliserez que vous ne reconnaissez pas beaucoup des mots que je chante, a-t-il dit plus tard. Je chante en wolastoqey, la langue de ma mère. Nous ne sommes plus que 500 à la parler. Je vais vous apprendre quelques mots pour que vous puissiez les partager. […] Mais entre allochtones et autochtones, tout ce qui compte, c’est l’amour, la collectivité. Et la paix, la paix, la paix. » En chanson, il a alors fait cela : il a partagé sa langue avec un public qui ne pense pas forcément à apprendre ces mots, mais qui en sort grandi.

Tout au long de sa performance, il s’est adressé à la foule tant en anglais que dans sa propre langue (il a même parlé et aussi chanté en français, pour une grande interprétation d’O Marie de Daniel Lanois), créant le pont qu’il veut d’abord et avant tout bâtir par son art. Dans la foule, l’exercice a eu son effet. Les festivaliers l’ont acclamé. Lorsque Jeremy Dutcher s’adresse à nous, on a très souvent envie de l’écouter.



Content Source: www.lapresse.ca

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