CRITIQUE – Enlevée par Caroline O’Connor, la comédie musicale de Jerry Herman et Michael Stewart se pose comme le spectacle des fêtes à Paris.
Pourquoi Dolly ? Parce qu’elle fête ses 60 ans cette année. Et parce que Dolly est la métathèse de Lido, salle parisienne dirigée par Jean-Luc Choplin. L’ancien directeur du Châtelet met son énergie à y faire jaillir des réjouissances aussi puissantes que l’époque est triste. Autrement dit, si la politique nationale vous désespère, si les tensions internationales vous inquiètent, si la situation climatique vous fait bouillir, filez au Lido pour deux heures et demie d’oubli total.
Car Dolly a réponse à tout. Vous ne savez pas danser ? Vous avez besoin d’un mari ? D’un avocat ? D’une autorisation de mariage ? D’une idée pour une sortie jouissive ? D’un portefeuille bien rempli ? Elle est là. Elle vous tend sa carte. Et avec le sourire. Elle le chante dans I Put My Hand In, qui attaque le show : « J’ai toujours été femme à arranger les choses/ Pour mon plaisir et mon profit : meubles banquets affaires de cœur. » Tout ce qu’elle touche devient réjouissant. Remettez-vous en à elle. Elle a la clé du bonheur, un sang-froid épatant et une science consommée des situations inextricables. On devrait la nommer à l’Otan.
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Mais où Michael Stewart et Jerry Herman, librettiste et compositeur, sont-ils allés chercher tout ça ? Ils ne se sont pas abîmé les méninges, confessons-le. Dramatiquement, Dolly ne vaut pas un clou. Des cœurs qui battent sans même s’être donné la peine de se trouver, des interrogations qui échouent à se hisser jusqu’à l’existentiel, des ronrons d’habitudes qui font tourner les personnages sur leur orbite minuscule et, pour seule métaphysique, l’ombre du défunt Ephraïm Levi, premier mari de Dolly, dont elle implore un signe qui lui accordera le droit de se remarier avec un marchand de foin, bête à en manger, et aussi riche que radin et acariâtre.
Une machine à tubes
Ce qui fait mouche, ce sont les chansons. Est-ce parce qu’il était né dans une maternité avec vue sur un théâtre de Broadway ? Jerry Herman, auteur-compositeur, possédait en tout cas un sens inné de la mélodie. À 14 ans, après avoir vu Annie Get Your Gun, il s’asseyait chez lui au piano pour reconstituer à l’oreille, et sans même savoir lire la musique, quatre chansons du show.
« Il n’y a que quelques personnes qui se soucient d’écrire des chansons que les gens peuvent chanter en quittant le théâtre », disait-il pour expliquer son art et sa manière. La recette fonctionne. Herman a entre autres signé Hello, Dolly ! qui n’a pas quitté la scène depuis le 16 janvier 1964, Mame, joué plus de 1500 fois, et l’adaptation musicale de La Cage aux folles, donnée 1760 fois.
Or Hello, Dolly ! fonctionne comme une machine à tubes qui va crescendo jusqu’à son acmé : l’apparition de l’héroïne en haut du grand escalier de l’Harmonia Gardens où les garçons Harry, Louie, Manny et Danny l’accueillent en triomphe, occasion d’entonner la chanson éponyme du spectacle, où elle les salue l’un après l’autre, Hello, Harry ! Well Hello, Louie !, eux lui renvoyant son salut en un Hello, Dolly ! qui, interprété par Louis Armstrong, détrônera au hit-parade de 1964 Can’t Buy Me Love, des Beatles, puis huit ans plus tard sacrera Annie Cordy.
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Si monter Hamlet est délicat, Hello, Dolly !, c’est sans doute pire : il s’agit d’opérer à vue la transmutation d’un courant d’air en geyser de champagne. Choplin réussit brillamment son coup. Dolly, officiellement entremetteuse, doit avoir quelque chose de l’entraîneuse pour emporter le morceau. Pas une vieille chose racornie qui manigance par-derrière, mais une créature capable de faire lever le soleil à minuit.
17 danseurs et 8 chanteurs
Caroline O’Connor est de cette trempe. Dans Moulin Rouge, de Baz Luhrmann, elle incarnait Nini Jambes en l’air. Ce n’est pas une actrice, c’est une tornade de taffetas rose qui bouscule ceux qui geignent et s’étiolent au lieu de croquer la vie à pleines dents. Peter Polycarpou est parfaitement rogue en Horace Vandergelder, et Monique Young et Carl Au, très justes en tourtereaux touchés par Cupidon. La mise en scène appartient au chorégraphe Stephen Mear. Tout vire et volte sur le plateau, en marchant, en courant, en valsant, ou même à quatre pattes pour se cacher sous les tables, le mouvement est incessant et l’élégance impeccablement tenue dans une palette où les pastels s’épanouissent sur les beiges.
La scène du Lido semble petite pour les 17 danseurs et les 8 chanteurs qui débordent dans la salle, tandis que l’orchestre, installé au premier balcon du décor, s’accorde au rythme effréné de Dolly. À l’entracte, les jeux d’eau du Lido accompagnent la fête. Hello, Dolly !, qui n’était pas venu en France depuis son incarnation par Annie Cordy, en 1972, puis Nicole Croisille, vingt ans après, sera le spectacle des fêtes. Le champagne qui lui coule dans les veines est une eau de jouvence…
Hello, Dolly !, en version originale surtitrée au Théâtre du Lido, (Paris 8e), jusqu’au 5 janvier 2025.
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