(Las Vegas) U2 n’est pas le groupe le plus humble de la planète. Se vanter du caractère révolutionnaire de ses créations est même une seconde nature pour le quatuor irlandais. Irritant ? Parfois. Justifié ? Souvent. Le groupe arrive cette fois à redéfinir le concert rock… sans même être présent sur scène, raconte notre journaliste, qui a vu l’œuvre immersive V–U2 dans la capitale américaine du divertissement.
On ne peut pas manquer la Sphere à Las Vegas. Son gigantisme s’impose dans le panorama pourtant extravagant de la ville dès qu’on s’en approche du haut des airs. Sa forme élégante se démarque aussi du toc démesuré qui domine l’architecture ambiante, en particulier lorsqu’on arpente Koval Lane ou la portion nord de la Strip.
Construite au coût de plus de 2 milliards par Madison Square Garden Entertainment, la Sphere a été inaugurée en septembre 2023 par le groupe U2. Avec la promesse d’offrir un spectacle qui allait une fois de plus repousser les limites du concert rock traditionnel, dans une salle unique au monde : un amphithéâtre dont la surface intérieure est dominée par un écran courbé de 160 000 pieds carrés qui surplombe les 18 000 sièges.
U2 : UV Achtung Baby Live at Sphere, présenté 40 fois entre l’automne 2023 et le mois de mars 2024, a été reconnu comme une grande réussite. On n’a aucune difficulté à le croire, même sans l’avoir vu. V–U2, la version cinématographique de ce spectacle, est elle-même tout simplement renversante. « Cinématographique » est d’ailleurs un mot bien faible pour décrire l’envergure de cette expérience immersive, riche de sens et forte en émotion.
Enveloppé par le spectacle
Le groupe mené par Bono a déjà cherché dans le passé à offrir des versions filmées de ses concerts qui seraient engageantes pour ses admirateurs. Notamment U2 3D (2007). Tourné lors de concerts dans des stades d’Amérique latine, ce film ne donnait pas seulement l’impression d’être sur place, mais carrément au cœur de l’action. V–U2, c’est un peu le contraire. Comme spectateur, on est résolument à l’extérieur du spectacle… mais totalement enveloppé par lui.
Tout en bas, la vraie scène, celle habitée par U2 l’an dernier et que foule ces jours-ci le groupe The Eagles, est recouverte d’un drap noir. Elle fait partie de la surface de projection.
Ainsi, quand la projection commence, Bono, The Edge, Adam Clayton et Bram van den Berg (en remplacement de Larry Mullen Jr.) apparaissent exactement là où ils se tenaient en chair et en os il y a quelques mois.
Comme dans un spectacle d’aréna, l’écran au-dessus d’eux permettra d’afficher des animations ou de voir les musiciens en gros plan. En très, très gros plan.
Idée brillante, l’avant-scène fait aussi partie de la surface de projection. Les admirateurs qui assistaient au spectacle au moment du tournage se trouvent donc eux aussi sous nos yeux, une présence qui renforce l’illusion de se trouver à un « vrai » concert. Pourtant, les ficelles ne sont même pas cachées : dans plusieurs scènes de V–U2, on voit les caméras qui sont en train de filmer l’œuvre qu’on regarde quelques mois plus tard. La frontière entre le réel et l’imaginaire s’en trouve à la fois affichée et floutée.
On a vu beaucoup d’images de V–U2 circuler sur YouTube depuis le mois de septembre. Elles en montrent les animations extravagantes, imposantes. Elles soulignent aussi, par moments, à quel point les compositions visuelles créées pour habiter l’immense écran intérieur de la Sphere font corps avec le propos des chansons et, souvent, l’enrichissent. Ces images glanées sur l’internet n’arrivent toutefois pas à traduire un détail capital : le caractère extraordinairement intime de V–U2.
Bono et ses acolytes ne sont pas sur scène, mais la finesse du son et la qualité des images sont souvent si confondantes qu’on a l’impression d’être en présence des icônes irlandaises. Même physiquement dominé par les animations, le groupe impose sa présence et sa musique. Ce qui est exceptionnel vu le festin visuel qu’on a sous les yeux et qui ne ferait qu’une bouchée d’un groupe moins charismatique et moins puissant que celui-là.
Une nouvelle ère pour les concerts
U2 peut se péter les bretelles : V–U2 marie fabuleusement art et technologie. Il serait facile de dire que de regarder un concert sur grand écran, c’est du toc. Que comme le théâtre, le concert rock ou pop doit être un moment présent partagé entre des artistes et des spectateurs qui, pendant un moment, respirent le même air. Que la catharsis n’est possible que dans ces conditions. Or, cette œuvre immersive force au contraire à se poser des questions sur ce qu’est devenu le spectacle live.
Qui hormis les spectateurs assez chanceux ou assez riches pour s’offrir des places dans les premières rangées voient les artistes autrement que sur écran géant au Centre Bell ? Quel Swiftie aura vu Taylor Swift en chair en os après avoir assisté à l’un de ses spectacles dans un stade ? La proximité virtuelle que permet une œuvre comme V–U2 est-elle à ce point différente ? Peut-être pas tant que ça.
L’émerveillement ressenti par les spectateurs rassemblés à la Sphere pour voir U2 sur ce giga-écran était palpable. Ceux qui vont voir des spectacles virtuels mettant en vedette des « hologrammes » de légendes retraitée ou mortes comme le groupe ABBA et le chanteur Roy Orbison doivent ressentir le même genre d’émotion. Ces frissons, les spectateurs les vivent ensemble, comme dans un « vrai » concert. Alors, pour un coût semblable, voir U2 en l’absence de U2 comme dans le film présenté à la Sphere, ce n’est vraiment pas plus mal que d’être loin dans les gradins et ne rien voir du tout.
Consultez le site de la Sphere (en anglais)
Pour en savoir plus
- La Sphere fait 112 mètres de haut et 157 mètres de diamètre au sol, c’est-à-dire qu’elle a approximativement deux fois la taille de la Biosphère de Montréal.
- L’entreprise montréalaise SACO Technologies a conçu les surfaces lumineuses extérieures et intérieures.
- La Sphere présente des concerts – The Eagles s’y produit ces jours-ci –, mais aussi des films immersifs dans sa programmation habituelle.
- V–U2 est présenté plusieurs fois par semaine jusqu’au 24 décembre.
- Hollywood Reporter a annoncé le 15 octobre qu’une deuxième Sphere sera construite à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis.
Content Source: www.lapresse.ca