(Cambridge, Angleterre) Parmi les artistes qui font exister le Québec à l’étranger, Le Vent du Nord est l’un des plus importants. Et si le groupe trad se produit à la Maison symphonique de Montréal ce jeudi avec l’OSM, La Presse l’a rencontré plus tôt cet automne en Angleterre, où il mène une carrière florissante depuis plus de 20 ans.
Les Anglais giguent aussi
Le spectacle vient à peine de commencer et déjà, dans une allée menant à l’avant-scène, un homme danse. Il s’est levé d’un bond dès les premières mesures pour se laisser aller à une espèce de gigue aussi enthousiaste qu’approximative sous l’œil étonné des 200 autres spectateurs venus entendre Le Vent du Nord en ce jeudi de novembre. Avant la fin du concert, la salle entière sera debout comme lui.
On a retrouvé le danseur – la soixantaine élancée, barbe longue comme ça, casquette plate vissée sur la tête – près du bar à l’entracte. « C’était tellement vivant, dit-il, il fallait que je me lève ! » Bel découvrait Le Vent du Nord ce soir-là. Il avait acheté un billet sur la recommandation d’une amie qui avait vu le groupe il y a plusieurs années au Cambridge Folk Festival.
« On les a vus plusieurs fois au folk fest, raconte aussi David, croisé avec sa femme Barbara. On savait qu’on allait passer une belle soirée. C’est tellement vivifiant, c’est une pure joie ! » Son opinion est partagée par Marie-Noëlle, une Belge établie à Cambridge qui suit le groupe depuis une dizaine d’années. Son mari et elle avaient d’ailleurs vu le quintette à Londres… exactement une semaine plus tôt.
Ils ne sont pas les seuls à s’être entichés du groupe trad québécois. Lors des concerts offerts à Cambridge et à Basingstoke, on a croisé plus d’une demi-douzaine de spectateurs qui avaient vu Le Vent du Nord plus d’une fois au cours de sa dernière tournée anglaise, au début de novembre – la troisième du Vent du Nord au Royaume-Uni depuis le mois de mars dernier.
« Ils jouent un type de musique qu’on pourrait entendre dans les cuisines en Irlande, observe Cyril Reagan, venu de Dublin pour réentendre le groupe… qu’il avait pourtant vu plus tôt cette année en Belgique, en Suède et dans le sud de l’Angleterre. En même temps, ils ajoutent de la basse électrique et de la vieille à roue, qui donnent un son différent. J’adore ça ! »
Une vie à tourner à l’étranger
Dire que Le Vent du Nord a ses habitudes dans ce coin du monde est un euphémisme. « On fait deux ou trois tournées par année au Royaume-Uni depuis 22 ans », confirme Olivier Demers (violon, mandoline, podorythmie et chœurs), quelques heures avant d’entrer en scène à Cambridge. Ses comparses et lui arrivaient du Yorkshire où, la veille, ils avaient joué dans une église du XIIe siècle.
Extrait de Dans l’eau-de-vie de l’arbre, Le Vent du Nord
L’installation est inhabituellement longue aujourd’hui. Le support fourni pour installer le clavier de Nicolas Boulerice (chant, piano et vielle à roue) est instable. Aucune chance que l’instrument tienne en place dans le feu de l’action. Faute de mieux, l’accessoire est finalement solidifié à l’aide d’une patte de métal sortie d’on ne sait où et fixée avec attaches en plastique de type tie-wrap.
« Il y a des endroits qui sont mieux organisés que d’autres », glisse André Brunet (violon, podorythmie, chœur), sans se départir de sa bonne humeur. Le quintette venait en effet d’apprendre de bonnes nouvelles : deux projets parallèles menés par certains de ses membres (Art populaire et Cooltrad) étaient en lice pour le prix de l’album trad de l’année au gala des prix Opus. Le Vent du Nord lui-même était aussi retenu dans la catégorie « rayonnement à l’étranger ».
Cette nomination fait particulièrement plaisir aux musiciens. « Ce n’est pas évident au premier coup d’œil, mais on est entraînés », souligne Nicolas Boulerice, en se moquant des kilos pris au fil des ans.
On n’a peut-être pas des abdos de feu, mais on est des sportifs de tournée.
Nicolas Boulerice
De la centaine de concerts que le groupe donne chaque année, les deux tiers ont lieu à l’extérieur de la Belle Province. Surtout aux États-Unis (du Maine à la Californie) et au Royaume-Uni, où le nombre de représentations annuelles dépasse celles offertes au Québec. En Écosse ou en Angleterre, il se produit dans des festivals devant des foules dépassant à l’occasion 10 000 personnes, mais surtout en salle.
Réjean Brunet (accordéon, basse, piano, chœurs) précise qu’il aime beaucoup jouer devant un public assis, attentif, qui apprécie les qualités de leur musique. « On n’est pas juste un band de party », dit-il. Son frère André ajoute : « Le show qu’on monte à chaque album, c’est un show de salle, avec des présentations et un fil conducteur. »
Entre innovation et tradition
Ce n’est pas d’hier que la musique traditionnelle québécoise séduit l’Angleterre. La Bottine souriante a commencé à défricher le terrain au tournant des années 1990 et s’y était bâti une solide réputation, témoigne Chris Wade, qui est toujours l’agente de spectacle du vénérable collectif lanaudois au Royaume-Uni.
Je savais que cette musique allait être populaire ici parce qu’elle était dynamique, qu’il y avait le côté français et des influences celtiques. L’autre chose qui a vraiment attiré l’attention des gens ici, c’était la podorythmie. Avec la section de cuivre, c’est ce qui faisait que ce groupe-là se démarquait.
L’agente de spectacle du Vent du Nord, Chris Wade
Le son du Vent du Nord, avec qui elle travaille depuis plus de 20 ans maintenant, est différent, mais possède aussi une énergie communicative. Jo Frost, ancienne rédactrice en chef du magazine Songlines, qui se consacre aux musiques folk du monde entier, estime que l’une des clés du succès du quintette québécois au Royaume-Uni et ailleurs est cet équilibre qu’il trouve entre innovation et tradition.
Le Vent du Nord ne se limite pas à donner du lustre au répertoire traditionnel. En effet, il compose aussi des morceaux originaux inspirés de la tradition. Ce qui donne Dans l’eau-de-vie de l’arbre, chanson au swing presque jazzé qui parle du sirop d’érable, ou Amériquois, pièce au lyrisme envoûtant marqué par des chœurs émouvants.
Extrait d’Amériquois, Le Vent du Nord
« Ce sont de fantastiques musiciens », insiste Jo Frost. Chris Wade ajoute que le succès du groupe tient à la personnalité attachante de ses musiciens et à l’étendue de leur palette. « Le Vent du Nord peut fait lever la foule et la faire danser, mais est aussi excellent dans des numéros a cappella qui forcent à sortir les mouchoirs. »
Chanter le Québec
Les chœurs, essentiels au son du Vent du Nord, ont donné du fil à retordre à André Gagné (chant, guitare, bouzouki), qui a rejoint le groupe en début d’année, en remplacement de Simon Beaudry, parti à la fin de 2023 pour se consacrer à sa famille.
Je n’avais aucun problème à être chanteur principal, mais je n’avais jamais chanté à cinq. Ç’a été mon plus gros défi, bien plus que d’apprendre les chansons et les paroles.
André Gagné
Son jeu et son chant se devaient d’être impeccables : les musiciens du Vent du Nord sont des perfectionnistes. Deux ans après le début de leur tournée 20 printemps, ils discutent encore d’ajustements à faire dans les arrangements avant chaque concert. Olivier Demers estime que ces petits changements font en sorte que leur spectacle évolue de manière naturelle.
Les musiciens peuvent débattre âprement de points de détails. Ils se savent toutefois « condamnés à s’entendre » et sont visiblement soucieux de maintenir une bonne entente. Ils prennent aussi visiblement soin les uns des autres. Durant la tournée de novembre, chacun savait qu’Olivier Demers traînait un rhume et que chanter lui demandait chaque soir plus d’efforts. « Il faut être plus présents [autour de lui] », a d’ailleurs souligné André Brunet aux autres membres durant l’entracte du concert donné à Basingstoke, dans l’ouest de l’Angleterre. Par juste pour bien sonner, mais pour aider leur ami à protéger ses cordes vocales.
Extrait de Ma Louise, Le Vent du Nord
Ce n’est pas seulement le temps passé ensemble qui a soudé ces gars-là, comprend-on à leur contact. Il y a chez chacun d’eux la conviction de faire partie de quelque chose de plus grand que la somme de leur talent : Le Vent du Nord veut porter le Québec sur les scènes du monde.
« On a le privilège de parler de ce pays qui n’existe pas aux yeux de tous – le Québec –, de cette culture. Même en Angleterre, c’est-à-dire devant des gens dont les ancêtres ont botté le cul aux nôtres », illustre Nicolas Boulerice. « On ne se gêne pas pour parler de ce qu’on est et d’où on vient, insiste Olivier Demers. C’est pour ça qu’on fait de la musique. »
Le Vent du Nord se produit ce jeudi avec Kent Nagano et l’OSM. Aussi en spectacle à Maskinongé (28 décembre), Magog (29 décembre) et Montréal (30 décembre, avec De temps antan).
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