Les 25 ans des Breastfeeders | La vie, c’est mortel, mais pas le rock’n’roll

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Après 14 batteurs et d’innombrables frasques de leur tambouriniste trompe-la-mort, Johnny Maldoror, c’est officiel : Les Breastfeeders ne sont pas tuables. Le groupe raconte ses 25 ans à bord du funny funiculaire de l’underground montréalais.




Comme plusieurs grandes histoires, celle-ci s’ouvre sur un plan d’un jeune homme tentant de panser son cœur avec les moyens du bord. À l’orée du nouveau millénaire, Luc Brien embrasse à contrecœur une existence d’amoureux solitaire.

« Après une rupture, je m’étais mis à écouter beaucoup de rock garage sixties en français, puis tranquillement à écrire dans ce style-là », s’est-il récemment remémoré sur la terrasse de l’Esco, cette grouillante grotte rock de la rue Saint-Denis, le Cavern Club des Breastfeeders. « Les paroles me venaient tout de suite parce que dans cette musique, il y a beaucoup d’affaires de cocus et de pauvres gars qui se font crisser là. »

Deux splendides Ostrogoths à gogo, le bassiste Jocelyn Gagné, dit Joe, et la petite peste Martin Dubreuil, habitaient alors le même immeuble que Brien, à l’angle de Chateaubriand et de Duluth. « C’était l’époque où tu pouvais te payer un huit et demie pour 1000 $ », lance celui qui s’est depuis fait connaître comme un des acteurs les plus intenses de sa génération.

Ils aideront leur camarade à se sortir de sa torpeur, alors qu’il avait déjà commencé à sublimer son spleen en un rock’n’roll pour garçons à cheveux longs et filles à minijupes, disciples de Baudelaire et adorateurs de Françoise Hardy.

« On rêvait d’un projet de band et j’avais déjà imaginé le personnage que j’allais devenir avant même de savoir de quel instrument je jouerais », raconte Dubreuil qui tentera bien sa chance à la batterie, mais qui peinait à tenir le rythme.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Les Breastfeeders en 2006, avec, à gauche, Suzie McLelove et Sunny Duval

Lors de l’audition de celui qui deviendra le premier guitariste du groupe, Sunny Duval, le petit malcommode décroche une tambourine. Brien : « On a l’enregistrement de la répétition et on entend distinctement Joe dire à Martin : “Ouain, on dirait ben que tu l’as trouvé, ton instrument, mon Johnny !” »

Faire quelque chose de sa vie

« Pour moi, Les Breastfeeders, c’est l’apogée du garage francophone montréalais. Il y a eu d’autres bands dans le genre, mais c’est celui qui avait le plus de personnalité, qui était le plus incisif », observe Max Hébert, le 14e (!) batteur du groupe, d’abord recruté afin d’apparaître dans un vidéoclip.

« Si je joue dans Les Breastfeeders, c’est grâce à mon look », ajoute-t-il, provoquant l’hilarité de ses collègues, même si personne ne nie que c’est la pure vérité. Les deux autres plus récents ajouts à l’alignement, le guitariste David Deïas et la chanteuse Karine Roxane Isabel, ont aussi la garde-robe de l’emploi.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Les membres actuels des Breastfeeders

Mais si Les Breastfeeders, tout aussi soucieux d’être bien sapés soient-ils, ont toujours su chasser les effluves délétères de cette vilaine maladie qu’on appelle le rétro, c’est en grande partie grâce à leurs textes généreux en hilarantes élucubrations et en formules formidablement trouvées, d’une finesse d’esprit n’ayant rien à voir avec le yéyé ni avec le rock Budweiser.

« J’ai beaucoup souffert de solitude au secondaire et c’est là que j’ai commencé à jouer avec les mots, à écrire des phrases qui m’en apprenaient sur moi », confie Luc Brien, un lecteur d’une palpable culture classique, qui cosigne la majorité des paroles de la formation avec son ami Dubreuil, dont le pseudonyme, Johnny Maldoror, est un emprunt à la mythique œuvre de Lautréamont (Les chants de Maldoror, écrite au XIXe siècle), le livre de chevet des surréalistes.

Les mots et le rock’n’roll, ce sont de bonnes façons de faire quelque chose de ta vie, quand justement tu ne sais pas quoi faire. Grâce à la littérature et à ta guitare, ton monde à toi peut advenir dans la réalité et tu n’es soudainement plus victime de ce qui t’entoure.

Luc Brien, chanteur-guitariste des Breastfeeders

De frasque en frasque

La renommée scénique des Breastfeeders, bien qu’un effort de groupe, est bien sûr largement attribuable aux téméraires cabrioles de Johnny Maldoror qui, en 25 ans de khôl sous les yeux et de crachats dans les airs, n’a jamais cessé de risquer son intégrité physique, de malmener sa tambourine et d’incarner jusqu’au bout des fesses l’idée voulant que le ridicule ne tue pas.

PHOTO PÉNÉLOPE FORTIER, ARCHIVES LA PRESSE

Johnny Maldoror à l’œuvre à Los Angeles en 2007

Sa pire frasque ? « Oh boy ! », s’exclame celui que tout le monde dans l’underground montréalais appelle « Joe des Breast ». Autour de la table, les suggestions fusent : la fois où Johnny s’est montré le maldoror sous les projecteurs de la fête nationale de Québec, la fois, au Café Campus, où il a lancé un pichet qui a atteint une jeune femme dont le père avait beaucoup d’influence dans le milieu du spectacle. Ou la fois, à Lafayette, où un régisseur lui a fait savoir qu’il n’hésiterait pas à utiliser son shotgun s’il le reprenait à monter sur les colonnes de chaque côté de la scène.

L’agitation scénique de Johnny Maldoror doit beaucoup à Axl Rose, Dubreuil étant un fan de toujours de Guns N’Roses, au désespoir de ses collègues trop cool pour ça, et à GG Allin, cet antéchrist du punk des années 1980, à côté duquel la bibitte inventée par Dubreuil est un personnage de films pour enfants.

Il y a aussi dans Maldoror un peu du paternel de Dubreuil, même s’il l’ignorait au moment de mettre au monde son alter ego. « Je n’ai pas été élevé par mon père, je l’ai connu sur le tard et quand je l’ai enfin rencontré, j’ai appris qu’il avait joué dans un band, Les Chantels », raconte-t-il, soudainement ému, au sujet du regretté Albert Ramaglia.

« Et son instrument fétiche, c’était la tambourine. C’est le seul instrument qu’il avait gardé et il me l’a légué. » On entendra la tambourine en question pour la première fois à l’automne, sur le quatrième album des Breastfeeders, une autre preuve que même si la vie, c’est mortel, bébé, le rock’n’roll, lui, est éternel.

Aux Foufounes électriques, ce samedi à 20 h, dans le cadre des Francos



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Content Source: www.lapresse.ca

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