Distingué par Nicolas Di Felice, le directeur artistique de Courrèges, et son jury, le jeune Israélien remporte le concours de mode, qui s’est tenu sous le soleil varois du 10 au 13 octobre.
Dans l’agenda de plus en plus encombré de l’industrie de la mode, le Festival d’Hyères reste un rendez-vous incontournable. Déjà parce qu’il offre souvent une pause ensoleillée bienvenue en cette mi-octobre pluvieuse, mais surtout parce qu’il a fait émerger, depuis sa création en 1983, bien des talents – le Belge Anthony Vaccarello, aujourd’hui directeur artistique de Saint Laurent, ou plus récemment, le duo néerlandais derrière Botter, un temps à la tête de la maison Nina Ricci.
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Comme chaque année depuis 1986, c’est dans la villa moderniste construite il y a un siècle par Mallet-Stevens pour le couple de mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles, que s’est tenu le temps d’un week-end cet événement réunissant étudiants de mode surlookés, curieux en goguette et acteurs de l’industrie (stylistes, journalistes, photographes, recruteurs…). « Ce qui me frappe particulièrement cette année, c’est l’immense énergie qui se dégage des personnes présentes, et la beauté des projets, se réjouit Jean-Pierre Blanc, inébranlable taulier du festival qu’il a fondé voilà bientôt quarante ans. C’est pour ça que je le fais. Mon métier, c’est de transmettre et d’accompagner : quand les créateurs et artistes que l’on soutient nous disent qu’ils sont heureux, alors ma mission est accomplie. »
Le pouvoir des images, la nécessité du savoir-faire
Comment est-il, d’ailleurs, ce cru 2024 ? « Hétéroclite », sourit Nicolas Di Felice, directeur artistique de Courrèges. C’est lui qui préside le jury mode de cette 39e édition, entouré de dix jurés sélectionnés par ses soins – dont Mel Ottenberg, rédacteur en chef du magazine Interview, fondé par Andy Warhol ; le mannequin français Jeanne Cadieu ; le sculpteur Théo Mercier ou encore la photographe Carlijn Jacobs. C’est vrai qu’il y en a pour tous les goûts. Du plus pragmatique, à l’instar du Japonais Kenshiro Suzuki et ses vêtements en lin teints à la main, nés de longues et lentes déambulations dans les rues de Tokyo, aux plus fantaisistes, tel l’Israélien Tal Maslavi, décoré d’ailleurs d’une mention spéciale. Son tee-shirt transférable sur la peau façon tatouage temporaire, ses chaussures « gâteaux » et sa serviette de sport en chocolat blanc (comestible !) n’ont pas manqué de réjouir les amateurs de happenings de mode calibrés pour faire le buzz sur les réseaux sociaux. L’enjeu est aussi ici, à l’heure où Instagram et autres plateformes peuvent faire et défaire une carrière. « Nous vivons dans un monde d’images, confirme Nicolas Di Felice. Je suis un grand romantique, donc j’ai tendance à avoir un peu peur de ce genre de choses, mais je sais aussi que c’est une réalité, et qu’on ne peut pas faire sans aujourd’hui. Je ne suis certainement pas anti-progrès, mais pour moi il s’agit surtout d’utiliser ces outils à bon escient. » S’il permet de sortir du lot, le buzz ne fait d’ailleurs pas tout. « Certains designers ont travaillé en priorité l’image, mais on a aussi vu se dessiner des profils désireux de remettre en avant notre métier, qui est quand même celui de faire des vêtements selon un savoir-faire, et qui m’est très cher. C’est-à-dire ce besoin de connaître et de pouvoir jouer avec les constructions, les maîtriser, les défier, les challenger », poursuit le créateur.
C’est le cas de Dolev Elron, 28 ans, qui repart avec le grand prix du jury Première Vision. Diplômé du Shenkar College of Engineering de Tel-Aviv, l’Israélien a séduit avec sa collection déconstruisant les archétypes de la masculinité – pour mieux les reconstruire. En manipulant jusqu’à la distorsion, par le biais d’un logiciel, les grands classiques du vestiaire pour homme que sont le marcel blanc, le jean cinq poches, le Perfecto ou la chemise de banquier, le créateur actuellement en poste chez Acne Studios, s’est distingué par son approche novatrice donnant un nouveau souffle à ces symboles des sous-cultures, aujourd’hui simples basiques. « Je voulais créer quelque chose de nouveau à partir d’éléments ordinaires. Je déforme les archétypes que nous connaissons tous, afin de les faire évoluer, ou muter. » Résultat : des silhouettes désirables sans être dénuées de caractère, faciles à comprendre et, surtout, à porter dès leur descente du podium.
Proposer un vestiaire compréhensible et prêt à être commercialisé a-t-il joué lors de la sélection ? « Mon rôle, en tant que président du jury, est de mettre en lumière des talents. Qui, s’ils ne font pas forcément toujours des silhouettes très commerciales, savent proposer des vêtements portables, répond Nicolas Di Felice. Lors des délibérations, j’ai beaucoup entendu le jury se féliciter de voir des pièces prêtes à être vendues. Je ne suis donc pas le seul à trouver bien que certains créateurs en soient déjà là dans leur parcours. Pour autant, je me suis aussi remis en question, car j’ai un côté très radical. J’aime tout autant montrer des pièces que l’on peut porter que des collections qui racontent des histoires. »
S’emparer des codes de la mode pour mieux les contourner est aussi ce qui a guidé la main de deux autres lauréats. Le natif de Dallas, Logan Monroe Goff, prix de la collection écoresponsable Mercedes-Benz, pour sa ligne masculine qui mêle les univers du tailoring et de la moto. Et le Belge Romain Bichot, l’un des grands favoris du festival, qui décroche le prix le 19M des métiers d’art de Chanel (pour un matelas écarlate devenant une minirobe bustier réalisée avec le plumassier Lemarié) et celui de l’Atelier des matières (pour une autre silhouette imaginée à partir de stocks dormants). Si Romain Bichot, diplômé de la célèbre école de La Cambre (Bruxelles), décrit la femme qui l’habille comme « chic et folle », il cultive pour autant une rigueur de la coupe admirable. Rien d’étonnant quand on sait que le jeune homme, silhouette fluette et cheveux roux, travaille depuis un an au sein du studio de haute couture de Balenciaga. « Mon attrait pour le vêtement vient du théâtre, et je mets un point d’honneur à ce que chaque pièce véhicule un sentiment, une histoire… Je vois le vêtement comme un objet métaphysique : lorsqu’on le porte, on devient quelque chose ou quelqu’un d’autre. C’est aussi une réflexion sur ce dont on hérite en tant que jeune designer : la mode est régie par des codes, que j’ai cherché à me réapproprier, voire à abolir. »
Pour Jean-Pierre Blanc, cette édition est l’opportunité de « défendre la créativité, et d’encourager ces jeunes dans la liberté qu’ils ont choisie .» Un mot d’ordre repris par le jury accessoires, présidé par le natif de Laponie, Achilles Ion Gabriel, directeur créatif de Camper et CamperLab. Son équipe a choisi de récompenser le Chinois Chiyang Duan, pour ses sacs et lunettes déformés. « Plutôt que de réfléchir à la manière de fabriquer de nouveaux objets durables, je pense qu’il est préférable d’améliorer les produits existants en prolongeant leur durée de vie, expliquait le jeune homme de 28 ans. De cette manière nous pouvons réduire le gaspillage inutile. » Diplômée de La Cambre, la Française Clara Besnard obtient, elle, le prix Hermès des accessoires de mode avec son «collier-ceintures» réalisé à partir de matières dormantes du sellier. Camille Combremont, originaire de Suisse, repart avec un prix spécial récompensant une collection inspirée de ses vacances d’enfant en camping. Invité chaque année à voter pour les candidats de son choix, le public de la ville d’Hyères a, de son côté, couronné la Française Gaëlle Lang Halloo (pour la mode) et la Mexicaine Maria Nava (pour les accessoires).
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