D’Amiri à Fursac, décidément, les designers de mode masculine n’en finissent pas de revisiter le temps passé, celui des contre-cultures, de la musique rock, de l’opulence des années 1970 à l’esthétique hipster.
En 2018, Mike Amiri débarquait à la Fashion Week de Paris timidement, avec ses jeans (très) slims ultra-déchirés. Sept ans plus tard, sa marque, Amiri, dépasse les 300 millions d’euros de chiffre d’affaires, et est entrée dans une autre dimension, celle d’une maison de luxe à l’américaine. En témoigne sa collection de l’automne-hiver 2025-2026 présentée jeudi soir, qui ressuscite l’esprit du Los Angeles des années 1970 : cinq-poches façon Sta-Prest, blousons et polos ornés de cristaux, chemise en popeline et cravate club, parka militaire en peau, costume croisé et liquette à col cubain… Une vision hédoniste, opulente et nostalgique qui séduit par son petit côté anachronique. Toutefois, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la réalité commerciale de ce vestiaire, le cœur du business d’Amiri étant beaucoup dans le jersey et les baskets.
Souvenez-vous : au début des années 2010, les hipsters de Brooklyn envahissaient le monde. Des barbus à veste de chasse et chemise à carreaux écoutant TV On The Radio et LCD Soundsystem qui alimentent en images le réseau Tumblr, affublées du hashtag #menswear. Cette génération va donner le ton à une nouvelle vague d’hommes s’intéressant au vêtement, au vrai, à sa provenance et à son histoire. Vendredi matin, Junya Watanabe ressuscite ladite allure de bûcheron qui date – déjà ! – d’il y a quinze ans. Le Japonais revisite ainsi la mythique veste Filson en cuir, coton huilé ou grosse flanelle, aux inserts matelassés typiquement « Junya », portée avec Levi’s à revers et Paraboot de randonnée. Les modèles, barbus, ont noué une cravate au cou de leur chemise en oxford. Une plongée dans le temps qui, bizarrement, nous donne envie de revenir à ces fondamentaux.
Sacré numéro d’équilibriste que celui de Gauthier Borsarello, le directeur artistique de Fursac : la marque de costumes préférée des Français défile pour la première fois durant la Fashion Week. « L’exercice du défilé pour une marque comme la nôtre n’est pas des plus aisés. Il ne faut pas être hors sol, admet Borsarello. Lorsque je jouais dans l’orchestre (il a une formation de musicien classique, NDLR), on me disait : “Joue pour le dernier rang.” C’est exactement ce que je fais aujourd’hui : amplifier le volume et les messages. » Sur la bande-son de Cherchez le garçon, de Taxi Girl, s’avancent les mannequins dans leur complet croisé-cravate passé sous un imper blanc (inspiration Sautet ou Melville, en plus contemporain), parka militaire sur jean légèrement évasé, veste autrichienne beige, pulls piqués de badges de groupes de rock… Les références fusent, la dernière période du Golf Drouot, les BCBG, La Boum et les jeunes gens modernes, de Dominique Laboubée des Dogs à Marquis de Sade. Qu’importe que la marque vende principalement des costumes bleus, on reconnaît bien là la culture de Borsarello, expert du vintage qui a profité de l’expérience du podium pour raviver « cette allure parisienne de la période 1978 à 1982, lorsque deux décennies se croisent ».
En revanche, zéro trace de nostalgie pour Rick Owens, mais un intéressant retour aux sources, cette saison. Est-ce parce qu’on l’a trop résumé à ses défilés spectaculaires et à son esthétique postapocalyptique que l’Américain présente une silhouette plus épurée ? « J’ai toujours en tête les principes de Jean-Michel Frank et sa vision de la simplicité, raconte-t-il en coulisses. Comment simplifier au maximum ? Comment puis-je réduire le nombre de mes possessions, limiter ce dont j’ai besoin, et faire en sorte que tous mes choix soient plus pertinents ? J’avais envie de choses simples, de raffinement et de moments de folie. » Un blouson en cuir très court, un manteau en gros drap de laine, un sweat-shirt à capuche, voilà pour « les choses simples ». Un col très montant digne de Dracula, un zip autour de la taille qui permet d’ajuster la longueur du manteau, un jean délavé révélant des nuances de bronze, voilà pour la folie. Cet exercice d’épure sied bien à Owens, qui révèle dans cette mise en scène ce que l’on savait déjà mais que le public oublie parfois : plus qu’un metteur en scène de spectacle, il est un créateur, pur, exigeant.
Content Source: www.lefigaro.fr