Durant cette semaine de la couture à Paris, quelques maisons de la place Vendôme ont présenté des collections d’une grande virtuosité technique soutenue par des envolées stylistiques remarquables.
Ces dernières saisons ont été dominées en haute joaillerie par une surenchère de pierres ! À qui mettraient la main sur le plus gros diamant, le saphir le plus rare, chacun revendiquant des provenances exceptionnelles, bannissant les spécimens ayant subi des traitements (heureusement !) et introduisant des gemmes longtemps inusitées pour en mettre plein les yeux (ce qui fut très souvent le cas). Pendant cette même période, le génie et le prestige des ateliers parisiens ont aussi beaucoup été glorifiés, à juste titre. Mais ces pierres mirifiques et cette fabrication géniale ont parfois pris le pas sur le design. Or cette édition de janvier, pourtant traditionnellement plus « modeste » que celle de juillet, a réservé de belles surprises sur ce terrain.
Les bijoux couture de Frédéric Boucheron
Traditionnellement, la directrice artistique de Boucheron, Claire Choisne, livre en début d’année une collection de haute joaillerie plus consensuelle, revisitant les signatures de la marque, quand en été, elle laisse libre cours à son imagination débridée avec une thématique et des pièces souvent assez folles, techniquement et stylistiquement. Avec les années (et le succès), il semblerait que cette frontière ne soit plus si nette, tant l’excentricité transpire de la vingtaine de trésors de The Power of Couture présentés cette semaine. Son point de départ ? Les bijoux couture de Frédéric Boucheron, fondateur de la maison, dont le père était drapier. Sur le moodboard de Claire Choisne figurent donc de divins colliers drapés en tissu d’or ourlé de diamants, des broches nœuds et des pompons de brillants. Jusque-là on est en terrain connu. Mais il y a aussi une photo du prince Philip, mari de feu Elizabeth II, en costume d’apparat. Et là, tout indique que la directrice artistique a emprunté un chemin de traverse. « L’inspiration de la couture émaille les archives de Boucheron avec des pièces magistrales, mais je ne voulais pas d’une interprétation mièvre », prévient-elle. L’objectif est largement atteint, avec notamment une aiguillette (ces cordons dorés décorant certains uniformes militaires) en cristal de roche qui donne un effet tressé, ou ces broches nœuds imitant le gros-grain grâce à des microtubes de cristal. Des épaulettes d’uniforme, là en résille de diamants, se portent sur une veste, mais se rassemblent pour former une manchette, des médailles militaires deviennent des broches précieuses inédites, des boutons de plastron dotés d’un ingénieux système d’attache s’accrochent partout sur un vêtement, mais aussi dans les cheveux. C’est inventif, gracieux, sans ostentation grâce à un divin monochrome blanc de diamants et de cristal de roche mat.
Cartier étoffe sa grammaire
C’est un fait acquis que Cartier dispose des meilleurs artisans, et un principe que la pierre (d’une qualité indiscutable) est le point de départ de toute création. Résultat, cela laisse beaucoup de place aux designers qui ne doivent pas déroger à cet environnement d’exigence. Comme le souligne le titre de la collection Le Voyage Recommencé, dont est dévoilé le troisième chapitre, l’équipe de créatifs s’appuie sur la grammaire de la maison, mais s’attache à l’étoffer à chaque saison. Cela donne des dessins géométriques de plus en plus poussés comme sur le collier Lerro, très Art déco, dont les émeraudes carrées renforcent les angles de l’ensemble. Mais aussi des inventions qui enchantent, à l’instar de cette bague, sorte de petit oursin qui peut tourner sur lui-même, pavé de diamants taille rose (renvoyant un éclat à la fois plus doux et plus piquant) et de picots d’or. Artisans, gemmologues et designers livrent une partition sans fausse note sur le collier Yfalos, pièce majeure de cet opus d’une trentaine de créations. Sa forme – très dessinée, avec force volutes entourant des billes de corail striées dans la hauteur – place en majesté deux turquoises de plus de cent carats, à forte personnalité, dont une est marbrée. Le tout est ponctué de perles d’émeraudes, claires et très légèrement bleutées, qui créent une association de couleurs différente de ce qu’on a l’habitude de voir ici.
Le propos moderne de Chaumet
Les discours les plus courts sont souvent les meilleurs. Cela pourrait aussi s’appliquer aux collections de haute joaillerie. Chez Chaumet, quatre parures sont révélées et font leur effet. En guise d’introduction ont été disposée dans le salon Chopin du 12 place Vendôme six pièces d’archives qui semblent en lévitation dans leur colonne de verre. Il y a, entre autres, des motifs d’oreille en or jaune gravé et granulé des années 1970, mais aussi les scintillantes broches de cheveux et de corsage en diamants dites « à la Mancini » de 1846. Si la maison se plaît toujours à rappeler son histoire et la constance de ses inspirations, la suite de la visite ne manque pas de modernité. D’abord parce que le propos est resserré, avec uniquement des bijoux de tête et d’oreille. Ensuite parce qu’ils habillent trois jeunes femmes et un jeune homme qui leur donnent vie, alors que ces trésors n’auraient rien dégagé à coup sûr sur un socle. Modernes enfin parce que la plupart sont transformables ou répondent à des portés contemporains, comme ce petit diadème Plumes d’or, dont le ramage d’or blanc et d’or jaune gravés à la main et éclairés de diamants se compose de deux parties transformables en broche ou en bijoux de cheveux. Il y a aussi cette earcuff Parade qui dessine l’envol d’un oiseau de paradis autour de l’oreille avec sa longue queue d’or et de diamants. Plus c’est abstrait, plus c’est joli et enlevé, comme cette broche double, en diamants, baptisée Envol. Surtout sur un garçon comme ce jour-là chez le joaillier.
L’audace de Louis Vuitton
Si, dans le meilleur des mondes, vous étiez cliente de haute joaillerie, seriez-vous assez audacieuse pour vous offrir un collier dont l’appairage de spinelles s’inspire du mycélium et de ses champignons ? Un plastron reprenant les formes sismiques du premier supercontinent Laurasia ? Assurément lorsque Francesca Amfitheatrof les interprète pour Louis Vuitton. Le 23 janvier, au 4 de la place Vendôme, cinquante pièces sont venues clore sa cinquième collection, Deep Time, « inspirée de la naissance de la Terre et des prémices de la vie ». Au concours des couleurs les plus inédites, le joaillier est sorti lauréat avec son collier Skin évoquant la peau d’un serpent sur un damier de 300 pierres taillées sur œuvre dont une centaine de saphirs Umba, des spécimens rarissimes (surtout dans cette quantité qu’il a fallu trois ans pour obtenir) tirant leur nom des abords de la rivière éponyme en Tanzanie et dont les feux rose orangé sont extrêmement réfractifs. L’effet est de taille, ultramoderne, graphique, mais féminin, grâce au choix de l’or rose et à son galbe bombé. Mention spéciale également pour le choker Myriad, aux lignes futuristes directement inspirées de la construction complexe d’un ADN, adoucies par une élégante corde de diamants, à l’image de celles qui servaient à tirer les malles historiques de la maison. Une création entièrement articulée qui assume le métal dénué de pierres, « alors qu’il est plutôt caché ailleurs en haute joaillerie, chez Louis Vuitton il ajoute du contraste et de l’éclat. »
Le travail de Monsieur Dior en bijoux
Dimanche 21 janvier, à partir de 10 heures, les invités étaient conviés à la grand-messe de Victoire de Castellane, directrice artistique de Dior Joaillerie. Dans les escaliers de l’hôtel de la Salle, rue de l’Université (Paris 7e), les robes couture en toile blanche disposées pour l’occasion donnent un indice sur le thème : jamais deux sans trois, après Galons Dior et Dearest Dior, elle rend hommage en bijoux au travail du couturier du New Look. La collection, intitulée Dior Délicat, porte bien son nom et convoque, sur 79 pièces créatives et vivement colorées de saphirs, rubis, émeraudes et diamants jaunes, la finesse et la féminité des dentelles et des broderies. Si on remarque le travail sur ce diadème, la construction des trois rangs de saphirs, à la manière de galons de vestes, sur un collier et une paire de créoles triple qui rappelle les pétales de la robe Junon de la ligne Milieu du siècle de l’hiver 1949, la parure la plus spectaculaire reste celle baptisée du nom de la collection. Un collier comme un col, d’une dizaine de rangées asymétriques de diamants de tailles variées, au milieu desquelles trône un diamant poire de 7,08 carats beau comme le jour. À associer avec une manchette et une bague double. Les boucles d’oreilles ayant déjà trouvé preneuse.
Il y a dix ans, Repossi inventait le Serti sur vide
On se souvient comme si c’était hier de l’effet dément produit par les premières bagues baptisées Serti sur vide vues en juillet 2014. Gaia Repossi qui, depuis déjà quelques années, imprimait sa patte de jeune fille dans le vent sur la marque fondée par son grand-père, montrait alors qu’elle ne reniait rien pour autant de sa culture familiale. Et, qu’outre le design, elle aimait aussi les gros cailloux, à condition qu’ils soient montés différemment.
Elle était alors allée chercher dans le coffre de son père, connu pour posséder de très belles pierres, des diamants gros comme le Ritz et les avait montés sur des bagues qui les faisaient flotter sur le doigt, grâce à des montures ultraminimalistes, quasi invisibles. C’est un geste de professionnel qui l’avait inspiré : quand un gemmologue veut appréhender l’effet d’une pierre – avant même de l’ausculter à la loupe – il la pose entre ses doigts pour voir ses reflets sur la peau et la faire jouer sur tous les angles avec la lumière.
Depuis, cette idée originelle est devenue une vaste collection qui n’est plus réservée aux clientes privilégiées de la haute joaillerie, avec des bagues et des earcuffs qui sont des best-sellers. Pour célébrer cette décennie fructueuse, Repossi – qui appartient désormais à LVMH – commence l’année avec une dizaine de bijoux précieux pavés de diamants et d’émeraudes. Ces variations renouvellent le dessin. Les montures et l’or y ont plus de place, mais les pierres demeurent en lévitation, notamment grâce au chaton « Tour Eiffel » et ses trois griffes épurées.
Graff et ses pierres d’un autre monde
On peut toujours compter sur Graff pour nous donner des frissons durant la semaine de la haute couture. Comme ses voisins de la place Vendôme, le joaillier anglais présentait ses derniers trésors sortis d’atelier. Et, comme chaque saison, il avait sorti ses pierres les plus exceptionnelles, ce qui n’est pas un vain mot chez ce spécialiste où chaque gemme est sélectionnée par un membre de la famille Graff. Elles déclenchent immanquablement les « oh ! » des happy few conviés à venir les admirer avant qu’elles ne s’envolent rencontrer de potentiels acheteurs.
Parmi les plus exceptionnelles, citons un saphir du Sri Lanka non chauffé (c’est-à-dire non traité) provenant de la collection privée de M. Graff, une taille coussin de 118,17 carats montée sur une manchette tout en relief et en diamants. Inoubliable aussi ce diamant ovale de 36,22 carats (10 900 000 € tout de même) monté en solitaire sur une bague. Alors qu’on se demande quelle vie peut bien avoir le futur propriétaire de telles pièces, on tombe sous le charme de ce collier nœud, majestueux, dont les diamants ovales, ronds et baguettes s’entrecroisent et tombent pour laisser place à deux parfaits diamants jaunes taille poire.
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