Malgré les rumeurs sur leur bonne tenue, les collections de l’homme et de la haute couture s’adaptent au calendrier de Paris 2024 mais aussi aux questions de circulation et de sécurité, sujet épineux depuis que les stars de la K-pop attirent des foules aux abords des défilés.
Une Fashion Week de Paris vient de s’achever, avec un retentissement médiatique et des retombées économiques pour la ville qu’on annonce déjà comme excellents. Et une autre salve de défilés se prépare, les collections masculines, du 18 au 23 juin, suivies de la haute couture, du 24 au 27 juin. Cette dernière a été avancée d’une semaine pour ne pas se heurter aux préparatifs de Paris 2024. Alors que nombre de manifestations ont renoncé à se dérouler durant cette période, la Fédération de la haute couture et de la mode a tenu bon et travaillé en concertation avec ses membres, les administrations en tout genre et le Cojo. Rencontre avec son président, Bruno Pavlovsky (également président des activités mode de Chanel), et son président exécutif, Pascal Morand.
LE FIGARO. – Comment êtes-vous parvenus à maintenir la bonne tenue des défilés de mode masculine et de haute couture en juin malgré les contraintes liées au montage des Jeux olympiques ?
Bruno PAVLOVSKY. - Quelle que soit la période à laquelle il a lieu, un défilé de mode exige un temps long de préparation et des équipes professionnelles de l’événementiel. Habituellement, la Fashion Week masculine se tient sur six jours pour une quarantaine de défilés, une trentaine de présentations, mais aussi de nombreux événements et showrooms en marge. Un tel calendrier implique des enjeux de circulation entre les lieux, de sécurité, de tarifs de location des espaces, etc. Or, les premières conditions de préparation relatives à la loi olympique ont d’abord exclu les rassemblements qui n’étaient pas liés à Paris 2024. Il nous semblait paradoxal que, parce que Paris accueille cette grande fête populaire du sport, d’autres manifestations soient impossibles. Toutes activités économiques et culturelles ne peuvent cesser dans la capitale autant de semaines avant le jour J. C’est pourquoi la Fédération de la haute couture et de la mode a anticipé ces questions il y a plus d’un an, et multiplié les concertations avec la Préfecture de police, la ville de Paris, le Cojo, qui coordonne les phases de montage, la délégation interministérielle et les ministères de la Culture et des Sport. En avril 2023, nous avons pris la décision de maintenir les collections de mode homme aux mêmes dates et d’avancer la haute couture d’une semaine, c’est-à-dire du 24 au 27 juin, à la demande de la Préfecture de police. En tant que fédération, nous avons un rôle de facilitateur, et nous voulons montrer que la bonne tenue de la Fashion Week contribue au rayonnement de Paris et est essentielle en cette période de Jeux olympiques. Si certains acteurs internationaux de la Fashion Week ont eu des inquiétudes quant à la bonne tenue des shows, nous avons pu les rassurer, et avons déjà la confirmation d’une grande majorité des marques de mode masculine et des maisons de haute couture.
Quels sont les enjeux de la fédération pour cette édition ?
Pascal Morand. - Nous avons travaillé sur cinq paramètres : les lieux, la circulation, l’hospitalité, l’accessibilité et la sécurité. Pour les lieux, nous avons fourni très en amont une liste de 260 adresses où se passent habituellement les défilés et les présentations de cette période afin d’identifier ceux qui ne seraient, cette fois, pas disponibles. Nous avons aussi prévenu les marques que les délais pour obtenir des autorisations de monter un événement dans un lieu ou en plein air étaient allongés d’un à deux mois. Parallèlement, nous avons noué un partenariat avec le Palais de Tokyo, qui a l’habitude d’accueillir des défilés et des présentations et qui, cette fois, pourra abriter une trentaine d’événements à des prix négociés. Pour la circulation, nous essayons d’anticiper en fonction des informations qui nous sont données. Mais jusqu’au 30 juin, ce qui couvre la période de nos Fashion Weeks, il sera possible de circuler plus ou moins normalement, même si l’on sait qu’il y aura des impacts liés aux montages des Jeux dans Paris. Même chose pour l’accessibilité des showrooms et des boutiques de nos membres, qui dépendent du plan de circulation. Du point de vue de l’hospitalité, si les prix des hôtels avaient été multipliés par trois il y a quelques mois, de nombreuses chambres ont été rendues par les organisateurs des JO, ce qui a fait redescendre les prix à un niveau normal. Enfin, question sécurité, nous avons créé une commission réunissant les directeurs de sécurité des grandes maisons, et nous travaillons aussi avec des sociétés de productions qui sont essentielles dans le fonctionnement des Fashion Weeks. Nous avons édité un guide des bonnes pratiques à destination de toutes les marques afin qu’elles s’assurent, par exemple, que les salles correspondent bien à l’envergure de leur défilé et du meilleur contrôle possible à l’intérieur et à l’extérieur de ces lieux.
En effet, on observe, ces dernières saisons, un phénomène d’engouement de jeunes fans qui se massent par centaines aux abords des défilés pour apercevoir les célébrités et surtout les stars de la K-pop, de plus en plus nombreuses à être invitées durant la Fashion Week…
P. M. - Exactement. Or si les grandes maisons ont l’habitude et les ressources pour encadrer ce type de foule, certaines marques doivent prendre toute la mesure de ce qu’implique le fait d’inviter une célébrité coréenne par exemple. C’est très sympathique de voir tous ces fans partager l’énergie des défilés, mais on ne peut prendre aucun risque. Or, nous savons que, en juin, les forces de police seront déjà mobilisées par la préparation des JO, et qu’il s’agit pour les marques de faire appel à des services d’ordre privés, afin de bien marquer et de faire respecter les zones de sécurité.
Ces dernières semaines, outre Paris 2024, la fédération a longuement œuvré à une autre tâche, celle de son statut…
B. P. - Effectivement, la réforme institutionnelle des instances de la Fédération de la haute couture et de la mode a été validée à l’unanimité de ses membres le 18 décembre 2023.
P. M. – L’histoire de ces statuts remonte à 1868 avec la création de la Chambre syndicale de la couture, des confectionneurs et des tailleurs pour dames et fillettes, à l’initiative de Charles Frederick Worth (le Britannique qui a « inventé » la haute couture parisienne, NDLR) ! Au fil des décennies, l’organisation a changé de nom et grandit dans les années 1970 à la faveur du boom du prêt-à-porter des couturiers et de l’émergence des créateurs. Pour devenir en 2017, la Fédération de la haute couture et de la mode, dont dépendaient quatre entités juridiques. L’an dernier, les membres du comité exécutif de la fédération ont décidé que le moment était venu de simplifier son organisation d’un point de vue juridique, administratif et comptable. Ce n’était pas une mince affaire, mais nous sommes donc parvenus aujourd’hui à une seule entité qui endosse la représentation professionnelle, jusqu’ici dévolue uniquement à la Chambre syndicale de la haute couture.
B. P. – Cette organisation professionnelle simplifiée qui couvre la haute couture, la mode féminine et la mode masculine est désormais en ordre de marche pour aborder les grands sujets sociétaux qui se présentent à nous. Nous sommes de plus en plus sollicités, que ce soit par le gouvernement français ou les institutions européennes sur les projets de lois, notamment autour du développement durable. Or, nous devons faire entendre notre voix, celle d’une mode tournée vers le luxe et la création, pour ne pas être pénalisés par les effets collatéraux de législations ciblant la « fast fashion ». C’est, aujourd’hui, en France, la mise en œuvre de la loi climat et résilience avec la question de l’affichage de l’impact environnemental des produits. C’est, demain, une nouvelle réglementation européenne sur l’écoconception qui, au-delà de la mode, interdit de détruire les invendus, comme c’est déjà le cas en France. Ce qui est une très bonne chose, mais, dans notre cas, cela nous interdit également de recycler les fibres de ces invendus au motif que le recyclage serait de la dégradation de valeur. Nous, nous assurons le contraire. Nous avons aussi un grand chantier, celui de la traçabilité du cuir et de la problématique autour de l’élevage. Sujet passionnant et complexe auquel la fédération est aujourd’hui très sensibilisée… Pour continuer d’exister avec ces nouvelles règles, nous avons besoin du poids des marques et des grands groupes, qui s’emparent déjà de ces sujets individuellement, mais aussi de celui de la fédération, qui représente notre profession et a désormais un mandat pour défendre nos valeurs, nos métiers.
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