ad

Dossier | Martin Matte et Stéphane Rousseau | Drôles de retrouvailles (3 articles)

Share

- Advertisement - ad

Martin Matte tourne en ce moment sa nouvelle série, Vitrerie Joyal, inspirée de l’entreprise familiale de son père, qui sera diffusée sur la plateforme Prime Video l’an prochain. Stéphane Rousseau, qui a publié en 2022 Famille royale, écrit actuellement son premier spectacle solo en 10 ans. Les deux humoristes, comédiens et auteurs discutent à bâtons rompus des défis d’écrire sur leurs proches.


Stéphane Rousseau : J’écoutais SmartLess lundi matin, une émission balado que j’adore avec Jason Bateman, et il y avait Ryan Reynolds qui demandait : qu’est-ce qui, selon vous, est le plus pertinent, le plus important dans toute votre carrière ? J’essayais de faire l’exercice et je revenais tout le temps à la scène. Bien que j’aie eu du fun ailleurs, il reste que ce contact-là avec le public, c’est ce qui est le plus marquant.

Martin Matte : C’est vrai que la scène, c’est quelque chose de fort. C’était un gros risque quand j’ai arrêté et que j’ai écrit Les beaux malaises, une série télé. J’ai vraiment pris plaisir à créer tout un monde, écrire pour d’autres. La scène, c’est fort chaque soir, mais c’est à recommencer tout le temps. Les beaux malaises, on m’en parle encore chaque semaine. Peut-être éventuellement que j’en écrirai une autre saison, avec des enfants dans la vingtaine. Pour l’instant, j’ai écrit complètement autre chose.

S. R. : Ce que tu fais en ce moment, aurais-tu pu le faire si ton père était toujours vivant ?

M. M. : Non, je ne pense pas, non. J’ai beaucoup écrit de l’autofiction sur mes proches. Je n’écris pas avec amertume ou pour régler des comptes. J’écris pour faire rire puis sûrement pour évacuer des traumas que j’ai vécus ou des douleurs que j’ai. Ça fait des petites frictions avec mes proches, mais vu que c’est fait avec amour et vérité, je pense que ça va. Tu sais, je n’écris pas pour faire plaisir à ma mère. J’écris pour chercher une certaine vérité qui me fait du bien. Puis finalement, ça fait du bien à du monde. Mais j’avoue que là…

PHOTO FOURNIE PAR TVA

Scène des Beaux malaises, avec Martin Matte et Julie Le Breton, en 2015

S. R. : C’est délicat…

M. M. : Quand mon père est mort, j’ai vécu ça moyennement bien. Je suis allé au salon, je me suis occupé des affaires et c’était fini. J’ai réalisé que je n’avais pas vraiment vécu mon deuil. Après ça, j’ai écrit un numéro. Je l’ai mieux vécu sur scène que dans la vraie vie, ce qui est un peu drôle. C’est complètement fou, ce que mon père a vécu, puis ce que ma mère aussi a vécu, avec l’accident de mon frère et ce qui est arrivé avec son entreprise.

Ce sont des moments douloureux, mais c’est quand même une belle histoire que je connais vraiment bien, donc je m’en suis inspiré. Mais non, je ne pense pas que j’aurais osé l’écrire avant. J’ai 55 ans. Je suis plus empathique, plus capable d’aller dans ces zones de fragilité. C’est comme ton livre, c’est vraiment la chose la plus profonde et personnelle que t’as écrite. Je me souviens que tu me racontais ton histoire dans des galas et tu me disais que tu l’écrirais un jour.

S. R. : Je ne pensais même pas publier ça au départ. J’avais écrit 30 pages et j’en ai parlé à Denys Arcand qui m’a encouragé à en faire quelque chose. Au moment où ça partait à l’édition, j’ai demandé qu’on me renvoie la copie et j’ai hachuré une couple d’affaires !

M. M. : Ah oui ? On sentait la vérité en tout cas dans le livre. J’ai vraiment aimé ça.

S. R. : Ça m’a fait du bien. J’avais aussi fait un numéro sur la mort de mon père, puis sur la mort de ma mère et de ma sœur. Ça me faisait du bien de jouer ça sur scène. J’avais trouvé une façon comique de livrer tout ça. Mais à un moment donné, je me suis demandé si je m’en servais pour mon propre bénéfice.

M. M. : Tant que c’est fait dans la vérité… Les témoignages que je recevais après le show et le numéro sur la mort de mon père étaient tellement beaux. Les gens me remerciaient d’avoir mis des mots sur ce qu’ils vivaient. Ils avaient une souffrance, mais ils riaient parce qu’ils se reconnaissaient dans ce que j’ai vécu.

S. R. : On travaille encore sur un projet pour peut-être faire autre chose avec le livre. Mais j’ai de la difficulté, moi, à y retourner. De me lancer, puis d’écrire un long métrage. Ai-je le goût de replonger là-dedans, de réécrire ? Je l’aurais fait d’un trait peut-être.

M. M. : C’est intéressant parce que ce que je joue en ce moment, je vais le faire et ça va être fini. J’ai des scènes à tourner qui s’en viennent et qui vont être quelque chose ! Je l’ai senti quand j’ai écrit. J’ai pleuré, je suis allé loin. C’est correct d’aller dans cette zone-là, mais c’est pour ça que je dis qu’après, pour la suite des Beaux malaises ou autre chose, je vais aller dans l’humour fort !

S. R. : Quand j’ai fait la version audio du livre, je me suis demandé pourquoi j’avais fait ça. Je trouvais ça bien moins drôle de le lire à haute voix et de me rendre compte vraiment de ce que j’avais écrit. J’ai même quitté à un moment donné la séance parce que je trouvais ça trop tough. J’ai essayé de le donner à d’autres pour qu’ils en tirent un scénario, mais ils avaient tendance à vouloir y mélanger de la fiction. Ça enlève toute la véracité du propos. Je voyais qu’on décrivait le décor de la maison chez nous en disant que la cour de mon père était bordélique. Mon père n’était pas bordélique pantoute ! Il ne parlait pas comme ça. Ma sœur non plus.

C’est difficile de laisser aller. Je trouve ça dommage parce qu’au départ, je rêvais d’avoir mon Léolo ou mon C.R.A.Z.Y., quelque chose de cette trempe-là. Mais bon, ce n’est pas nécessaire non plus et je n’y tiens pas mordicus. Surtout que ce n’est pas évident, si je ne veux pas l’écrire, de le faire écrire par quelqu’un d’autre puis que ça soit exactement comme je l’imagine !

M. M. : T’es peut-être allé au bout de l’exercice ? Quand tu fais de l’autofiction, c’est quasiment impensable de laisser l’écriture à d’autres. Je travaille avec François Avard, mais c’est moi qui écris l’épisode au complet. Après, je lui envoie pour qu’il me dise ce qui est moins bon ou ce que je pourrais ajouter. Mais il ne pourrait pas écrire une scène sur ce qui se passe à l’usine. Ça ne se peut pas, c’est trop personnel. C’est très délicat, mais je ne pense pas qu’on doive faire lire son scénario à des proches avant que ce soit un produit fini. Je l’ai déjà fait, puis ça s’est mal passé.

S. R. : Ne fais pas la même erreur que moi ! Mon père a eu une femme dans sa vie après la mort de ma mère, qui était extraordinaire et qui s’est occupée de nous. Je ne voulais pas lui faire lire mon livre. Je lui en avais un petit peu parlé. Elle avait tendance à défendre mon père pour des trucs qui n’étaient pas défendables. Avant la publication, j’ai changé le nom de la blonde de mon père qui s’appelait Thérèse. Elle l’a lu, puis elle m’a dit : « J’ai tellement pleuré. C’était qui, cette femme-là ? Comment je ne me suis pas aperçue de ça pendant toutes ces années ? » Puis elle l’a lu une deuxième fois avant de comprendre que c’était elle. Je me sentais tellement con de ne pas lui avoir dit.

M. M. : Ton livre, c’était vraiment pas de la fiction. Moi, ça reste de l’autofiction. Pour ce qui est de ma mère, par exemple, j’ai créé un personnage d’une femme de ces années-là, qui n’est pas nécessairement elle. Même sur le plateau, les gens veulent savoir si c’est vraiment arrivé. Ça part tout le temps d’une vérité. Des fois, je me rends compte que même si la série se passe en 1995, on dirait que ça fait 100 ans ! L’homophobie, la misogynie, ça n’a pas de sens.

Pour ceux qui ont 30 ans sur le plateau, ça grafigne ! Les gens de Prime Video ont été troublés par certains propos et ils auraient aimé qu’ils ne soient pas dans la série. Mais ils sont très ouverts à la discussion. Moi, je trouve ça important de montrer d’où on vient, comment c’est fragile aussi, ce qui est acquis, quand on voit ce qui se passe aux États-Unis.

S. R. : Ils ne sont jamais revenus en te disant : ce mot-là, tu ne peux pas le dire ?

M. M. Oui, c’est arrivé. Je le mets pareil et on va voir au montage ! Moi, je pense que c’est pertinent. Il y a des scènes où ça va loin. Mon père, quand il parlait des homosexuels, c’était épouvantable. C’était l’époque, on trouvait ça drôle. Ce qui est absurde, c’est que c’est traduit. Je m’obstine avec eux en anglais et on négocie si mon personnage peut dire « fifi » ou « moumoune » ! C’est le fun de nommer les choses et de dire : regardez, c’était ça, il y a 30 ans. Protégeons ce qu’on a aujourd’hui !

S. R. : Mon père mettait l’album de Paolo Noël [« Je m’appelle Paulette… »] tous les Noëls ! Mon livre raconte les choses pas mal telles quelles. Avec les shows de scène, qui partaient de moi, j’avais l’impression d’avoir pas mal tout raconté. Ça fait trois ans que je cherche le fil rouge pour un prochain show. Mais pour avoir quelque chose à raconter, il faut que tu vives des choses. J’ai vécu quelque chose… [Rires] Ça me nourrit forcément. C’est rarement des trucs le fun qui sont très inspirants. Ça fait un mois que j’écris tous les jours.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le spectacle de Stéphane Rousseau Un peu princesse au Théâtre St-Denis, le 22 avril 1995

M. M. : T’as commencé à roder ?

S. B. : Non, mais je vais commencer en 2026. Ce moment-là dans la loge, dans les petits clubs, c’est pas toujours évident parce que c’est confrontant, c’est gênant, c’est intimidant. On retourne en arrière, on vieillit, c’est moins confortable. Mais il y a quelque chose qui vient me chercher encore comme au premier jour. J’aime ça, l’effervescence des coulisses, les autres qui répètent leurs textes. Je trouve ça beau.

M. M. : Pour moi aussi, c’est la même chose. Quand on faisait le talk-show, je faisais un 10 minutes de stand-up chaque semaine pour en garder 5, puis j’allais le roder au Bordel. C’est vraiment la base de tout ce qu’on fait. Ton dernier show, ça date de quand ?

S. R. : Dix ans !

M. M. : Ça t’inquiète ? Ça ne te terrorise pas ?

S. R. : Ça me terrorise un peu, mais en vieillissant, ça nous terrorise moins ! Ce qui me terrorise parfois, encore aujourd’hui, c’est le geste de monter sur scène. Est-ce que je vais être aussi vif qu’avant, à 58 ans ?



Content Source: www.lapresse.ca

En savoir plus

advertisementspot_img

Nouvelles récentes