L’interdiction des thérapies de conversion au Canada n’a pas réglé le problème. Ici, au Québec, des cérémonies s’apparentant parfois à des exorcismes continuent d’être offertes et pratiquées dans la clandestinité, raconte le documentaire Gai(e) tu ne seras point. Avec des conséquences lourdes pour les victimes.
Le film But I’m a Cheerleader, qui date de 1999, raconte l’histoire d’une adolescente forcée par ses parents à participer à un camp destiné à la guérir de son lesbianisme. Elle doit se plier à des exercices stéréotypés au possible pour devenir hétérosexuelle, alors que ses moniteurs, dont l’un est joué par la drag RuPaul, ont eux-mêmes des attirances homosexuelles. L’objectif du film est clair : ridiculiser les thérapies de conversion.
La réalité est bien loin de cette comédie plutôt rose bonbon. Les procédés auxquels ont été soumises certaines des personnes interviewées par le réalisateur Jean-François Poisson pour Gai(e) tu ne seras point donnent même froid dans le dos : avec leurs incantations intenses, l’imposition des mains et les commandements à Satan, ils correspondent à l’image qu’on se fait d’un exorcisme.
« Tu sens que ces personnes-là, ça les a vraiment troublées », dit le réalisateur.
Isolement, idéation suicidaire, honte ou manque d’estime d’eux-mêmes, les survivants de ces thérapies de conversion destinées à les « guérir » de leur homosexualité portent un lourd bagage.
Le fait de ne pas réussir à se défaire de ses attirances homosexuelles malgré les efforts a été ressenti par plus d’un comme un échec, douleur qui s’ajoutait à celle d’un processus lui-même éprouvant.
Stratégies « insidieuses »
Jean-François Poisson avait en tête de s’intéresser aux thérapies de conversion depuis un bon moment, mais sans trouver d’angle porteur. Il était conscient que son sujet avait quelque chose de marginal et que certains pouvaient le trouver dépassé. L’adoption d’une loi fédérale interdisant cette pratique en 2021 donnait en outre l’impression que le problème était réglé.
C’est en lisant un reportage des journalistes Zoé Arcand et Quentin Dufranne dans le quotidien Métro qu’il a trouvé son filon. Quentin Dufranne avait les thérapies de conversion à l’œil depuis qu’une personne proche de lui, issue d’une famille évangélique, avait failli en subir une. Après l’adoption de la loi fédérale, il a voulu savoir ce qui subsistait de ces pratiques. Et il n’a eu aucun mal à découvrir qu’elles se poursuivaient.
Ce qui est insidieux avec les thérapies de conversion, c’est qu’elles prennent plusieurs formes. Ce ne sont pas que des groupes religieux. Il y a aussi des thérapies ou des efforts de conversion effectués par des professionnels de la santé.
Quentin Dufranne, journaliste interviewé dans le documentaire Gai(e) tu ne seras point
Ces gens qui continuent d’offrir des séances de prière ou d’autres formes de thérapie pour transformer les homosexuels en hétérosexuels connaissent la loi, illustre Quentin Dufranne. Ils la contournent en faisant preuve de prudence et en transformant leur langage. « Ce ne sont pas les mêmes mots, a constaté le journaliste, mais c’est la même chose qu’ils font. »
Des témoignages chargés
Trouver des personnes disposées à témoigner à visage découvert des pressions ou sévices vécus aux mains de « prophètes » ou d’autres « thérapeutes » n’a pas été ardu, assure Jean-François Poisson. Ce qui a été difficile avec les survivants, en revanche, ce sont les entretiens à la caméra.
« Ça n’a pas été des entrevues faciles », souligne le réalisateur. Revenir sur les pressions et sévices subis a fait remonter à la surface des blessures encore très vives. On voit plusieurs interviewés ravaler des larmes et des sanglots à l’écran.
Et le temps n’efface pas tout. Sandra Carbone a franchi la barre des 50 ans, elle a une conjointe et des enfants, mais elle est toujours en rupture avec sa famille. Son père, le pasteur Alberto Carbone, fondateur de l’Église Vie et Réveil, devenue Mission intergénérationnelle chrétienne du Canada, lui a signifié il y a des années qu’elle ne pourrait pas revenir si elle poursuivait dans la voie du lesbianisme.
Le réalisateur aurait bien voulu s’entretenir avec des gens qui proposent les thérapies de conversion ou d’autres choses qui s’y apparentent, mais il n’y est pas parvenu.
« Personne n’a voulu, précise-t-il. Ils le font beaucoup sur l’internet, mais à la télévision, avec de vraies questions, ils n’ont pas envie d’en parler. Ils restent dans leurs petits groupes… »
Gai(e) tu ne seras point s’intéresse à un phénomène aux conséquences durables et aux ramifications profondes. Le documentaire montre en effet que ce genre de pratique a aussi lieu dans la France catholique et qu’un jeune d’ici qui vivrait mal ses préférences sexuelles n’est potentiellement qu’à quelques clics de trouver en ligne quelqu’un qui lui promettra de le ramener dans le « droit chemin ».
Offert sur Crave
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