Après une émission balado et un livre, l’ex-enquêteur Stéphane Berthomet propose un documentaire fouillé au sujet de l’étrange mort de Louis-Georges Dupont, policier de Trois-Rivières trouvé sans vie en 1969. L’affaire Dupont : le combat d’une famille soulève quantité de questions troublantes qui font vaciller la thèse officielle du suicide.
L’affaire date, alors mieux vaut en rappeler les grandes lignes : le 10 novembre 1969, le policier Louis-Georges Dupont est retrouvé mort dans sa voiture à Trois-Rivières. Il était disparu depuis cinq jours. Dupont, considéré comme un homme intègre, était soupçonné d’avoir collaboré à une enquête portant sur la police de Trois-Rivières et d’avoir dénoncé des collègues impliqués dans la prostitution, liés dans ce commerce au clan Cotroni de Montréal.
Les autorités concluent vite au suicide : le policier, sous pression après s’être mis entre l’arbre et l’écorce, aurait craqué. Sa famille, elle, n’a jamais adhéré à cette version de l’histoire. Des décennies durant, ses fils Jacques – mort en juillet dernier – et Robert se sont battus contre la police, contre la Ville de Trois-Rivières et contre la justice, dénonçant ce qui, à leurs yeux, est un non-sens et soulevant au fil des ans des questions troublantes à propos de l’enquête menée à l’époque.
L’affaire Dupont est complexe, précise d’emblée Stéphane Berthomet, ancien enquêteur de la police française, qui creuse cette histoire depuis presque 10 ans. Il s’y est d’abord attardé par pur intérêt documentaire, dit-il, avec l’envie d’analyser équitablement les éléments convergeant vers la thèse du suicide et ceux pointant plutôt vers un meurtre. Il avait prévenu les frères Dupont que ses conclusions n’allaient peut-être pas leur plaire. En entrevue, il avoue même qu’il était sceptique quant à la thèse de l’assassinat au début de ses recherches.
Sa longue enquête, qui a donné naissance à une émission balado intitulée L’ombre du doute et à un livre publié en janvier dernier sous le titre Dupont, l’incorruptible, l’a mené à changer d’avis.
Je pense que ce dossier a été traité de façon anormale pendant des décennies, que des omissions et des cachettes ont été faites, que des gestes malhonnêtes [ont été faits] par différentes autorités.
Stéphane Berthomet, qui a enquêté sur l’affaire Dupont
« Ma conviction est que la famille mérite, à tout le moins, qu’on lui rende justice sur ces points-là et peut-être même sur le fait que le père a été assassiné. »
Des doutes raisonnables ?
Son documentaire en deux parties réalisé par Sébastien Trahan et présenté jeudi à ICI Télé s’adonne à une lente et patiente reconstitution des faits. Des doutes quant à la version officielle sont soulevés très tôt, rendant la suite de l’enquête haletante. Des langues se délient, des informations jugées avérées par la justice sont contredites par des photos et des témoins. Des journalistes ayant enquêté eux aussi sur cette histoire (Pierre Marceau, alors à Radio-Canada, et Mylène Moisan, du quotidien Le Soleil) apportent de l’eau au moulin pendant que la thèse du suicide, elle, prend l’eau…
Stéphane Berthomet le précise : il ne croit pas que la famille Dupont soit victime d’un vaste complot. « J’ai appris au fil du temps qu’une affaire de ce type ou une erreur judiciaire n’est pas le fruit d’un grand complot organisé et maintenu en connaissance de cause par les autorités pendant des décennies », assure-t-il. Les cas semblables tiennent plus d’un mélange de travail mal fait, de biais inconscient (notamment le refus de croire que le système peut se tromper), d’incompétence, du contexte et bien sûr de mensonges acceptés comme des vérités.
Son documentaire collige les failles de l’enquête, relève les incohérences, rappelle que le policier chargé de l’enquête sur la mort de Louis-Georges Dupont figure tout en haut de la liste des suspects d’autres personnes au courant du dossier… Des faits étranges, il n’en manque pas dans cette affaire. Est-ce à dire que le policier retrouvé mort ne s’est pas suicidé, mais aurait été abattu par des collègues ?
« Il est clair qu’aujourd’hui, je considère que c’est un assassinat », tranche Stéphane Berthomet. C’est aussi la conclusion qu’il tire dans son récent livre. Or, le documentaire, lui, est moins affirmatif. L’ex-enquêteur plaide le nécessaire équilibre dans une production destinée à un réseau comme Radio-Canada. Ce qui ne signifie pas que son propos est édulcoré : en suivant sa logique, il est difficile de conclure à autre chose qu’au meurtre.
L’affaire sera-t-elle une fois de plus réexaminée ? Stéphane Berthomet l’espère et il ne s’en cache pas. Les prochains mois diront si les informations nouvelles contenues dans son documentaire et leur addition à l’histoire connue suffiront à provoquer du mouvement du côté des autorités policières, judiciaires et municipales à Trois-Rivières.
Sur ICI Télé, jeudi, de 20 h à 22 h
Content Source: www.lapresse.ca