Avec Pleurs, ne vous attendez pas à verser une larme, à moins qu’elle ne soit de rire. Espace Libre nous arrive en effet avec une création particulièrement déjantée et un spectacle aussi léger qu’assumé. Amateurs de petits et grands malaises, vous devriez être servis.
« Soyons fous ! » C’est sur cette joyeuse invitation que s’est terminé notre entretien avec cette délirante équipe de comédiens et humoristes de la relève, tous vêtus de leurs costumes ridiculement laids, inspirés de La mélodie du bonheur. « Ayons du fun ! »
Une invitation qui fait tout de même du bien, en ces temps particulièrement lourds, avouez.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE
L’action de Pleurs se déroule dans un salon funéraire.
Résumons : l’action de Pleurs se déroule dans un salon funéraire. S’enchaînent plusieurs sketchs qui n’ont rien de solennel, tout le contraire, et qui sont autant de prétextes pour aborder, oui, la mort (un peu), mais surtout sa commercialisation, la sexualité à l’heure de Tinder, l’industrie de la beauté, les influenceurs, les jeunes et leurs écrans, même l’écologie. Oui, ça ratisse large, mais ça ratisse surtout très vite.
Nous ne sommes pas ici dans une satire ni une grande critique sociale ; pensons plutôt à une « critique de la critique », de l’absurde et, on l’a dit, des malaises et encore des malaises. Dans le texte, mais surtout le geste et les chansons. Bouffonneries à profusion incluses.

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Le spectacle est mis en scène par Geneviève Labelle (à gauche) et Mélodie Noël Rousseau, de la compagnie Pleurer Dans’ Douche.
Il faut savoir que Pleurs, une comédie pseudo-existentielle écrite par une « Nouvelle Troupe Expérimentale » (clin d’œil au Nouveau Théâtre Expérimental) (NTE) et mise en scène par Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau (de la compagnie Pleurer Dans’ Douche), est en fait la partie 2 d’un projet né en 2024. À la même date l’an dernier, Alexis Martin et Daniel Brière montaient Rires, sorte de collage des meilleurs gags d’hier à aujourd’hui, tirés des classiques d’ici et d’ailleurs : de Ionesco à Claude Meunier, en passant par Molière ou Sol et Gobelet. Le tout était interprété, à l’invitation des deux codirecteurs artistiques du NTE, par une cohorte d’une demi-douzaine de finissants – en théâtre et en humour – dits « de la pandémie ».
Revoici la même cohorte, avec une création sur le même thème de l’humour, mais de son cru. Pleurs a en effet été écrite à sept têtes (!) et bricolée dans la plus pure tradition du NTE, de manière expérimentale, avec l’aide de l’autrice et conseillère dramaturgique Tamara Nguyen. Objectif ? Saisir ce qui fait rire les nouvelles générations, en comparaison avec celles qui les ont précédées. Vaste question à laquelle l’équipe n’a pas la prétention de répondre, osant néanmoins quelques pistes.
L’humour actuel
D’abord : un bon gag écrit il y a 100 ans demeure un bon gag aujourd’hui. Et il sera tout aussi bon « dans 100 ans », débute Simon Duchesne (à qui l’on doit la balado Simon et Tyler racontent). Au-delà de cela, difficile de tirer de grandes conclusions. « On est sept à avoir écrit, rappelle-t-il. Certains préfèrent l’humour décalé à la SNL, d’autres les blagues courtes. Notre monde est aussi influencé par le web. » Bref, l’humour est ici pluriel.
Cela dit, l’idée de camper l’action dans un salon funéraire n’est pas fortuite. « On trouvait que c’était très drôle d’aller dans un endroit où on n’est pas censé rire, où le décorum est hyper important », ajoute Caroline Somers. Le tout sans jamais aborder de front le sujet de la mort, si ce n’est par l’entremise de sa commercialisation. « C’est notre quotidien ! On est hyper influencés par la marchandisation, alors c’est sûr que cela vient teinter notre imaginaire humoristique. »
Comment décrire cet imaginaire ? « Moi, je trouve que c’est une génération de gentils », dit la metteuse en scène Geneviève Labelle, avant de se rendre compte qu’elle fait pleinement partie de ladite « génération » (elle a 33 ans, les comédiens ont de 24 à 32 ans).
Oui, tu peux taper sur Trump, mais pas sur une personne handicapée. Et puis à cause de TikTok, on voit qu’on se lasse rapidement, alors il a fallu faire des petits sketchs et aller dans tous les sens.
La metteuse en scène Geneviève Labelle
Est-ce à dire que les distinctions relèveraient davantage de la forme que du fond ? Si l’absurde semble transcender les générations, le rythme soutenu pourrait en « larguer » certains, assurément. « Il y a peut-être un chaos qui va larguer certains spectateurs, parce qu’il y a trop d’affaires en même temps, avance Fabrice Girard. Mais il n’est pas nécessaire de tout comprendre. »
Et ce n’est pas exactement gratuit non plus. « Il y a une petite critique, nuance Caroline Somers. On ne peut pas s’en échapper, on est des citoyens de notre société. On parle de ce qu’on vit. Quand on parle de Gaïa [la Terre-Mère], on le dit à la blague, mais on le pense quand même. »
L’engagement est là, mais en surface. Il y a un certain vertige de l’existence qui est présent, subtilement. « Léger, quand même », reprend Simon Duchesne. Nul besoin d’en rajouter, quoi. « On n’a pas besoin de plus que ça, conclut-il. La critique est dans ta face tout le temps, constamment. Et moi, je trouve ça vraiment excitant de faire une création qui s’assume, et qui ne s’excuse pas d’être ça : vivante, chaotique. On lance plein d’affaires sur un mur, et ça colle ! C’est ce que j’aime : c’est vivant ! »
Pleurs, une production du Nouveau Théâtre Expérimental, est présentée sur les planches d’Espace Libre jusqu’au 12 avril.
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