Elles sont toutes trois des figures respectées de leur domaine. Mais pour le spectacle Affaires intérieures, la chorégraphe Mélanie Demers, la musicienne Frannie Holder et l’actrice Sophie Cadieux n’ont pas voulu se cantonner dans ce qui a fait leur renommée.
Les trois femmes ont préféré dépasser les frontières de leur art respectif pour ce spectacle hybride écrit à six mains où chacune chante, danse et joue. Quitte pour cela à s’exposer dans un état de grande vulnérabilité.
« C’est le défi qu’on s’est lancé dès le début, explique Frannie Holder. Soudainement, je dois danser, jouer. Je suis obligée de faire une translation vers quelque chose qui m’est moins confortable dans mon rapport à la scène, qui n’est pas ma place habituelle. C’est la même chose pour nous toutes. Et chaque fois, nos fragilités sont révélées. »
Même si les trois femmes se connaissaient déjà de près ou de loin, il leur a fallu du courage – et une bonne dose de lâcher-prise – pour s’aventurer ainsi sur des territoires jamais explorés.
« Notre plus grand défi a été de faire confiance à ce que l’autre saura nous accueillir dans sa discipline, estime Mélanie Demers. C’est ce qui a été le plus confrontant et le plus engageant à la fois. Il a fallu allier nos forces et nos sensibilités pour avancer. »
« Il y a quelque chose de vraiment beau qui émerge de cela », ajoute Sophie Cadieux. L’union de leurs trois voix a permis, dit-elle, l’émergence d’une quatrième, distincte et kaléidoscopique, qui emprunte tantôt au chant, tantôt au théâtre ou à la danse.
Si on signait un roman ensemble, ce serait sous un pseudonyme. Il ne serait pas signé par nos trois identités, mais par une nouvelle forme. Ce serait un genre d’Émile Ajar !
Sophie Cadieux
L’exercice est d’autant plus périlleux pour les trois artistes que la pièce Affaires intérieures se veut un voyage introspectif dans ce qui les habite, au creux de ce qui sommeille en elles et n’attend qu’une étincelle pour se révéler. Tout cela sur des airs de berceuse, de rap ou même de ritournelles de comédies musicales !
Or, le plan était tout autre lorsque Ginette Noiseux a eu l’idée fertile de réunir ces trois têtes (fortes) autour d’un seul projet. La directrice d’Espace Go, qui quittera son poste à la fin de la présente saison, souhaitait monter la pièce Brand New Ancients (Les nouveaux anciens), de Kae Tempest. Pour des raisons de droits d’auteur, le projet est mort dans l’œuf. Mais une graine était semée.
Plongée en soi
L’idée d’explorer le potentiel de leurs disciplines réunies a séduit les trois femmes. Et rapidement, un désir commun est apparu : celui de sonder ce qui couve en chacun et chacune de nous. Comme une plongée sous la surface sensible pour mieux échapper au bruit ambiant…
« On se rejoint toutes les trois sur le fondement de tout ce qui nous bouleverse, sur la façon dont le monde nous touche, dit Sophie Cadieux. On a voulu réfléchir à l’espace qu’on laisse aux autres en nous. Qu’est-ce qu’on garde, qu’est-ce qu’on rejette ? »
On a voulu prendre parole au nom de ce qui nous rassemble et nous ressemble. Or, on trouvait que le bruit environnant était fort. On est surstimulés, on nous demande de performer dans nos identités, nos féminités…
L’actrice Sophie Cadieux
« Le temps d’un souffle, on a eu le goût de se retirer un peu de tout ce qui nous agresse ou qui peut être violent », raconte Frannie Holder.
Mélanie Demers renchérit : « Ce voyage introspectif a aussi des résonances avec le monde extérieur, des résonances politiques et philosophiques. Rentrer à l’intérieur de soi pour aller voir ce qui s’y passe est aussi un acte collectif. C’est important pour nous de s’inscrire dans le monde. »
Chose certaine, les frontières, celles qu’on porte tous en soi et qui nous empêchent de regarder nos monstres en face, mais aussi celles qui nous séparent des autres, sont au cœur d’Affaires intérieures. « Cette notion parcourt tout le texte et, avec elle, vient celle des transgressions », ajoute la musicienne du trio.
Sophie Cadieux insiste : cette plongée en soi représente une main tendue vers le public. « On souhaite parler autrement du monde sans avoir peur d’y aller avec une certaine douceur. On veut que ce spectacle soit rassembleur, qu’il laisse aux gens un espace pour exister. »
Les trois créatrices disent avoir été transformées par ce projet où des barrières sont tombées, où leurs logiques internes ont été confrontées à celles des autres et où elles ont dû s’interroger sur les fondements de leur art.
« C’est drôle, dit Mélanie Demers. Je réalise que je me suis radicalisée sur certains aspects que j’ai eu à défendre. Mais j’ai aussi été transformée par des possibles que je n’avais pas soupçonnés. »
« Tout le processus de création a été un vaste laboratoire humain et artistique. Ç’a été extrêmement foisonnant. Depuis le début du projet, j’ai l’impression de me métamorphoser et d’amener les autres à le faire. C’est un grand cadeau que nous a fait Ginette [Noiseux] », conclut Frannie Holder.
Affaires intérieures
Spectacle de Sophie Cadieux, Mélanie Demers et Frannie Holder
Espace Go, Du 16 janvier au 11 février
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