Avec sa gueule de beau bandit et son accent à couper au couteau, Charley Crockett semble tout droit sorti d’un western spaghetti et incarne jusqu’au bout de son Stetson l’image d’Épinal du hors-la-loi qui ne doit rien à personne, sinon qu’aux serments qu’il s’est faits à lui-même.
À 40 ans, le Texan charrie depuis la parution de son premier album (Stole Jewel, 2015) la promesse d’un country lavé de tous ses inutiles artifices et ayant plutôt la grâce d’emprunter, comme chez les Willie Nelson et autres Waylon Jennings dont il est l’héritier, à la soul, au blues et au rock’n’roll.
Une réputation taillée dans l’authenticité de son passé, celui d’un de troubadour qui, dès l’âge de 17 ans, a sillonné l’Amérique et l’Europe avec son baluchon et sa musique, en faisant du pouce, en sautant dans des trains de marchandises et en s’égosillant dans la rue.
Mais en ce jeudi de mai, Charley Crockett est assis dans son autocar de tournée, stationné derrière le MTelus, où il s’apprêtait le soir venu à interpréter devant une salle en pâmoison les chansons de $10 Cowboy, son 13e album en moins de 10 ans.
Extrait de Gettin’ Tired Again
Avec une guitare sur les genoux, qu’il grattera tout au long de l’entrevue, et un joint à moitié consumé dans le cendrier, notre hôte devise sans se faire prier sur son ancienne vie de vagabond, qui lui manque parfois.
« C’est sûr que le quotidien est difficile quand il fait froid dehors et que tu ne sais pas où tu vas dormir. Cette partie-là, je ne m’en ennuie pas, confie-t-il. Ce qui me manque, c’est de pouvoir faire ce que je veux sans prévenir personne. »
Mais pour moi, ce qui se rapproche le plus de la liberté, c’est d’être constamment en mouvement, et c’est encore ça, ma vie.
Charley Crockett
« When it comes to bad luck/I got perfect timing », chante-t-il dans Hard Luck & Circumstances, une des nombreuses réflexions sur l’adversité que contient $10 Cowboy, un album qui paraissait en avril dernier pendant qu’ironiquement, son étoile avait rarement à ce point brillé.
Extrait de Ain’t Done Losing Yet
« Je sais que je peux avoir l’air de me plaindre, en disant que je suis abonné à la malchance, à un moment où mes affaires vont bien », glisse-t-il en évoquant aussi ses pièces Ain’t Done Losing Yet et Good at Losing.
« Mais là où je veux en venir, c’est que plusieurs personnes m’ont prévenu que les choix de vie que je faisais allaient me mener à ma perte, alors que la réalité, ces gens auraient simplement trop peur de prendre quelque risque que ce soit. En Amérique, on nous instille très tôt l’idée qu’il faut à tout prix devenir des gagnants, mais on ne nous dit jamais qu’il faut aussi apprendre à perdre. »
La vie commence à 40 ans
Charley Crockett a subi en 2019 une opération à cœur ouvert, rendue nécessaire par le syndrome de Wolff-Parkinson-White dont il souffre et parce que sa valve aortique coulait. La grosse affaire.
« Ç’a été une période très inquiétante, parce que plusieurs personnes autour de moi avaient l’impression que j’allais soit mourir, soit devoir renoncer à ma carrière, se souvient-il. Ce qui s’est plutôt produit, c’est que j’ai commencé à voir clair. »
Le cowboy me raconte sa rencontre, quelque part sur la route, avec un vieux sage qui lui avait annoncé, comme un oracle, qu’un homme ne commence vraiment à vivre qu’à 40 ans. Le problème, c’est qu’il n’en avait que 28.
« Mais maintenant que j’ai 40 ans, je comprends ce qu’il voulait dire ! », lance-t-il en riant doucement. « Les premières années, après l’opération, ont été très sombres. J’avais de la difficulté à regarder ma cicatrice sans que l’eau me monte aux yeux. »
Ce qui n’est plus le cas du tout. Notre philosophe se trouvait il y a quelques mois en Californie, afin d’enregistrer un nouvel album. Déjà. « Et en sentant le jasmin, je me disais que c’est le printemps le plus puissant de l’histoire du monde entier. Ou c’est peut-être juste que c’est la première fois que je le remarque pour vrai. Ce qui est certain, c’est que ce que j’ai vécu rend la montagne plus belle, les couleurs plus vives. »
Ce que l’Amérique inspire
« America, I love ya/and I fear you sometimes », annonce Charley Crockett (« Amérique, je t’aime et je te crains parfois ») dans America, une de ses rares chansons au sous-texte politique. Une affirmation qui pourrait étonner, parce qu’en apparence, on ne fait pas plus américain que lui.
Il marchait entre les machines à sous et les « âmes en suspension » du Kansas Star Casino, au beau milieu de la nuit, après un spectacle, quand ces phrases lui sont tombées dessus.
« Je vois beaucoup de beauté dans mon pays, chez les gens surtout, mais il y a aussi beaucoup de choses qui m’effraient sans bon sens, explique-t-il. L’Amérique se définit beaucoup par la peur : t’as le roi de la finance dans son gratte-ciel qui a peur des pauvres et les pauvres en bas qui ont peur de quelque chose dont les riches les ont convaincus qu’ils devraient avoir peur. »
« Et ce qui est fou, précise-t-il, à moitié amusé, à moitié désolé, c’est que cette chanson résonne partout sur la planète, parce que tout le monde a une raison d’avoir peur et d’être fasciné par les États-Unis. »
Charley Crockett, qui, lui, appartient à ce que son pays a de plus fascinant, est attendu pour sa balance de son. Toc, toc à la porte de son autocar. Une dernière poignée de main, vigoureuse, avant qu’il s’enfonce dans l’obscurité des coulisses. « Great talk », lui dit-on. Réponse dans un français cassé, mais volontaire : « Avec plaisir, mon frère. »
Au Festival d’été de Québec, ce jeudi à 20 h
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