C’est quand, la dernière fois qu’autant de membres d’Harmonium se sont retrouvés sur une même scène ? Les principaux intéressés ne se souviennent pas exactement. « C’est peut-être en 1987, à Joliette », souffle le saxophoniste, flûtiste et multi-instrumentiste Libert Subirana, inestimable acteur de soutien d’innombrables grands albums, dont certains de Diane Dufresne, Paul Piché, Yvon Deschamps et Richard Séguin.
Depuis près d’une dizaine d’années, Subirana joue avec le pianiste Serge Locat au sein de Kébek Muse, une formation de 12 membres qui redonne vie à des classiques de la chanson québécoise, dont plusieurs de leur ancien groupe, Harmonium. Et ce vendredi, au Théâtre Hector-Charland, Locat, 73 ans, montera sur scène pour la dernière fois, avant de rallier pour de bon ses quartiers et enfin se reposer.
En apprenant la nouvelle il y a quelques mois, la chanteuse et claviériste Monique Fauteux, une voix comme la plus claire des eaux de source, et le bassiste Louis Valois, le seul membre outre Serge Fiori à avoir été d’Harmonium du début à la fin, n’ont pas su résister à l’envie de s’inviter. Ils rejoindront Subirana et Locat le temps de faire briller les Lumières de vie, cette pièce en cinq mouvements (tirée de la version live de L’Heptade) que le presque retraité a composée en partie, un morceau de bravoure alliant piano, orgue et mellotron qui monte tranquillement dans les nuages.
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Si la musique d’Harmonium n’a pas manqué d’occasions d’être célébrée au cours des dernières années grâce à des concerts symphoniques et au spectacle présenté par le Cirque Éloize en 2019, c’est chaque fois son leader, Serge Fiori, qui en a été le porte-étendard.
« Mais moi, je considère que j’ai beaucoup contribué à Harmonium, même si Serge était le principal mélodiste et auteur-compositeur », plaide Serge Locat, dont le seul album en solo, Transfert (1978), est un bijou méconnu de musique instrumentale, une glorieuse orgie de synthés.
On prenait les compositions de Serge [Fiori] et on les amenait plus loin. Ce qu’on apportait finissait par devenir plus que la somme de toutes les parties.
Serge Locat, claviériste
Louis Valois met un grand soin à choisir ses mots. « Cette notion-là qu’Harmonium, c’était un chanteur accompagné par des musiciens, ça me triture », reconnaît-il. Après avoir œuvré ensemble entre 2016 et 2019 aux rééditions de L’Heptade (1976) et de l’album homonyme de 1974, Fiori et lui se sont « éloignés », résume-t-il avec circonspection, soucieux de ne pas blesser qui que ce soit.
« La reconnaissance de ce que les autres ont fait, Serge a tendance à être un petit peu secret là-dessus, mais je me souviens très bien – c’est un exemple – de Serge Locat et [du défunt batteur Denis] Farmer à Saint-Césaire, et ce qui se passait, pendant qu’on coupait la track de Premier ciel, c’est que ça devenait autre chose que la chanson composée par Serge Fiori. Ça devenait le son du groupe Harmonium. Et ça, on semble parfois l’oublier. »
Au seuil de la consécration
Au Québec, Harmonium a depuis longtemps été canonisé, mais on dit peut-être trop peu, plus de 45 ans après la dissolution du groupe, à quel point il était aux portes de la reconnaissance internationale. Les yeux de Serge Locat, Monique Fauteux, Libert Subirana et Louis Valois s’illuminent en parlant de leur tournée européenne de septembre et octobre 1977, en première partie de Supertramp.
« Ce n’était pas une première partie, mais bien un programme double », corrige Louis Valois en riant, encore incrédule. « Contrairement à certains groupes, qui limitent la première partie à certains micros, on avait toute la place qu’on voulait. » Serge Locat renchérit : « Les gars de Supertramp étaient sur le bord de la scène et ils nous écoutaient, chaque soir. Ils tripaient comme des fous. »
Contrairement à Beau Dommage ou à Octobre, qui ont permis à leurs fans nés après que le poncho a été passé de mode de les voir en chair et en os, Harmonium est une des très rares formations à avoir résisté à l’appel de la tournée ou du disque retour.
« C’est sûr que si tout le monde avait eu envie de le faire, ça aurait été le fun », pense Monique Fauteux, qui travaille avec Louis Valois (son amoureux depuis belle lurette) et leur fille Julie à une série de quatre albums, dont le premier devrait paraître incessamment. « L’aventure que j’aurais aimé qu’on explore, c’est de faire de nouvelles choses, tous ensemble. »
Respecter le passé
Au moment de la réédition de L’Heptade, en 2016, Serge Fiori « était disponible à l’idée d’un retour », confie Louis Valois. « Et je pense qu’on n’aurait pas trop eu besoin de faire de publicité. Mais finalement, la pression était trop grande. L’attente aurait été énorme. Que Serge soit parvenu à lancer son album solo [en 2014], c’est déjà un grand accomplissement, qui mérite l’admiration. »
Mais, aussi historique cette résurrection aurait-elle été, il y a une noblesse à respecter le passé et à laisser intacts ces moments de grâce dont nous sommes contraints, comme des sages, à simplement imaginer le paysage.
« Quelque part, oui, c’est peut-être correct que ça reste comme ça », acquiesce Louis Valois. « C’est peut-être plus beau comme ça. »
« Mais je ne te mentirai pas : je trouve ça ben excitant, ce qu’on va faire ensemble vendredi », ajoute-t-il avant de lancer une question à son ami Locat. « Dis-moi, Serge, c’est ton dernier show pour de vrai ? »
Serge Locat et Kébek Muse, ce vendredi à 20 h au Théâtre Hector-Charland, à l’Assomption
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